L’immobilier est à la peine. La preuve ? La fédé du BTP 84, la Fnaim 84 et la FFB84, Pôle Habitat 84 (les promoteurs) montent au créneau. Alors que le besoin en logements ne cesse de progresser, l’accès à la propriété et les ventes immobilières font grises mines. C’est tout un pan de l’économie qui grippe et le fait savoir, avec à la clef des propositions. Mais seront-elles entendues par l’Etat ? Après une crise économique sévère, les professionnels craignent une bombe sociale.
Ils sont là, face à nous. Qui ? Frédéric Saintagne, président du Pôle Habitat de la Fédération Française du Bâtiment ; Daniel Léonard président de la Fédération du Bâtiment et des travaux publics et Jonathan Le Corronc Clady, président de la Fnaim Vaucluse (Fédération nationale de l’immobilier). Ils dénoncent l’arrêt de toute la filière de la construction, de l’aménagement, en passant par la réhabilitation, la pierre est à l’arrêt.
Pourtant, il s’agit bien d’un phénomène en contradiction
avec la demande de logements à l’achat comme à la location, sans compter les besoins d’aménagement, qu’il s’agisse des bassins de l’emploi ou des villages ruraux, ou encore d’une population qui a besoin de se loger, les jeunes comme les étudiants, ou encore les jeunes ménages ne serait-ce pour s’installer et travailler, tout comme les seniors qui ont besoin de logements adaptés.
En cause ?
L’inflation ; l’augmentation constante des taux d’intérêts, des prêts bancaires difficiles à obtenir auprès des banques corrélé à un endettement des ménages revu à la baisse à la demande du Gouvernement. Mais pas que. Il y a aussi les mairies qui peinent à poursuivre leur projets de construction ou d’aménagement à cause de la loi Zan (Zéro artificialisation nette) ; Un empilement de règlementations trop précocement instituées sans que les filières ne soient encore suffisamment organisées comme c’est le cas avec la déconstruction et la mise en place de plateformes de stockage de matériaux de ré-emploi pour les futures constructions.
Les institutionnels, les communes,
tout comme l’économie, font le gros dos et jouent la montre remettant leurs projets à des temps meilleurs pour cause d’inflation. «Oui mais, pendant ce temps-là que va-t-il advenir des entreprises ? Tout comme la transmission des savoirs entre les experts qui partent à la retraite et les jeunes embauchés ?» Interroge Daniel Léonard, le président de la Fédération du BTP 84. C’est aussi la raison pour laquelle ils ont convoqué une réunion de rentrée politique et économique à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Vaucluse face aux décideurs politiques et économiques du territoire. Objectif ? ‘Evoquer, ensemble, des solutions concrètes pour faire face aux enjeux, au bénéfice des citoyens et des entreprises’.
Face à la presse ?
Les trois professionnels de la pierre sonnent l’alerte en initiant la première réunion française pour interpeller l’Etat. La situation doit être assainie et permettre à tous les protagonistes de l’acte de bâtir et de la vente immobilière, de continuer à exercer leurs métiers, car les enjeux sont sociétaux : formation en interne dans les entreprises, emploi, accès au locatif, à la propriété sont grippés depuis, désormais, plus d’un an. Alors les interprofessionnelles posent la question : Comment tout cela est-il possible et, surtout, comment y remédier ?
Un marché immobilier favorable aux acquéreurs
Pour Jonathan Le Corronc Clady le ralentissement du marché se confirme. «Le quasi-quadruplement des taux d’intérêt en 18 mois paralyse le marché. Les prix s’inscrivent à la baisse depuis fin juin 2022, et l’inflation paralyse les bourses ce qui en fait un marché favorable aux acquéreurs avec une possible baisse des prix de 4% et un recul de 20% en termes de volumes de ventes. En l’absence de portabilité des prêts immobiliers -en août 2023, la production de crédit est au plus bas depuis 2014-, la hausse des taux n’incite pas les ménages déjà propriétaires à déménager, au risque de voir leur taux de crédit augmenter sensiblement par rapport à leur crédit en cours. Le nombre de ventes de confort, non dictées par les aléas de la vie : naissance, divorce, décès, diminue.»
Les vases communicants
«Avec le blocage du marché de la transaction, la pénurie de biens à vendre s’est transformée en pénurie de biens à louer, poursuit le président de la Fnaim Vaucluse. Avec, en toile de fond, une offre de logements insuffisante, notamment dans certaines zones tendues. Concernant le parc locatif les biens se font rares. En région Paca, l’offre a dégringolé de 43% et 88% des agences ont moins de 10 biens à louer. L’offre de biens à la location, en France, a fondu de 34% et en recul de 28% dans le Grand Est, alors que la demande s’est envolée de 23% en un an. Près de 55% des agences Fnaim reçoivent entre 10 et 49 demandes pour un bien mis en location.»
Des tensions sans précédent sur le marché locatif
«Tensions sans précédent sur le marché locatif, obligations de rénovation énergétique et difficulté d’accès au crédit, le secteur de l’immobilier fait face à des tensions grandissantes, relève le président de la Fnaïm. Malgré les alertes, le Gouvernement reste sourd comme en attestent les conclusions du CNR (Conseil national de la refondation logement) ainsi que l’avis de l’autorité de la Concurrence qui confond libre concurrence et désorganisation,» conclut Jonathan Le Corronc Clady.
Les propositions de la Fnaim ?
La Fnaim réclame un aménagement du calendrier de la Loi Climat, la suspension de l’indécence énergétique en copropriété à l’exécution d’un plan pluriannuel de travaux et rendant le DPE (Diagnostic de performance énergétique) collectif opposable. Au chapitre de la rénovation en co-propriété, l’interprofessionnelle demande l’assouplissement des règles de majorité pour permettre l’éligibilité des prêts de la copropriété au taux d’usure des crédits consommation.
Concernant le retour de la confiance des bailleurs,
la Fnaim propose la réintroduction de la déduction fiscale des intérêts d’emprunt pour l’achat d’une résidence principale et la portabilité des prêts. Et, aussi, le soutien du secteur de la Construction et de l’immobilier Neuf en revenant sur la fin programmée du Pinel, du Zonage, de la sortie du PTZ (Prêt à taux zéro) et de la Loi ZAN (Zéro artificialisation nette).
Frédéric Saintagne président du Pôle Habitat de la FFB Vaucluse
«Le logement est frappé par une crise sévère.
La crise du logement devient de plus en plus concrète, elle va tous nous toucher. Faute de logements proches, disponibles, abordables et adaptés aux besoins, elle bloque la mobilité professionnelle des salariés et là, nos entreprises, sont directement concernées. Elle saisit les étudiants qui renoncent à leurs projets de formation. Elle grippe l’ensemble du parcours résidentiel, freine l’accès à l’emploi et au territoire. »
« La désolvabilité des ménages
Hausse des taux d’intérêt et des coûts de construction, crise des matériaux RE2020, depuis 2022, les ménages ont été massivement désolvabilisés. Le prix d’une maison moyenne est de 277 300€. C’est 14% de plus qu’en 2020 et un financement sur deux est refusé par les banques. La construction neuve s’effondre à un rythme sidérant. Globalement 114 000 ventes ont été perdues, dans le neuf, depuis juin 2023 par rapport à 2022, et c’est 13,2% de mises en chantier. Le PTZ (Prêt à taux zéro) est supprimé pour la maison qui est pourtant l’habitat phare des familles, particulièrement sur notre département. 32 630 communes ont été supprimées de la carte du PTZ, soit 52% de la population en France. Nous abordons la vision d’une France à deux vitesses : celle des grandes villes, de la richesse et celle de la ruralité qui sera considérée comme abandonnée. Elle renforce la fracture entre ceux qui pourront choisir leur habitat et ceux qui seront assignés à résidence. Si rien ne change, plus de 250 emplois issus de la construction neuve, seront perdus en 2024.»
«En Provence,
c’est-à-dire dans les Bouches-du-Rhône, le Var, le Vaucluse, les Hautes-Alpes, les Alpes-de-Haute-Provence, l’offre commerciale (+32%) ne cesse de croître face à une forte baisse des réservations nettes (-33%). Dans l’aire Avignonnaise les mises en vente repartent à la hausse avec +20% avec des réservations nettes stables (+11%). Le stock disponible enregistre une hausse de +27% et les prix sont stables avec en moyenne 4 112€/m2. En termes de bâtiments, 55% des logements construits par des promoteurs sont vendus à perte à des bailleurs qui achètent en Vefa (Vente en état futur d’achèvement). Ainsi, sans les promoteurs, il n’y a plus de logement social.»
Les freins
«Concernant La Loi Zan (Zéro artificialisation nette), les élus sont réticents à autoriser les constructions, révèle Frédéric Saintagne. Les nouvelles normes environnementales et techniques constituent également des freins à la construction, tout comme la réduction des dispositifs de solvabilité des ménages consécutif à la demande du gouvernement concernant l’octroi des crédits immobiliers.»
Les pistes qui pourraient débloquer la situation ?
«Soutenir les maires volontaristes en encourageant la libération du foncier, car l’on ne peut pas évoquer l’attractivité des territoires si l’on ne peut loger les salariés autour de leur lieu de travail ; Pratiquer l’exonération temporaire des droits de succession pour l’acquisition de logements neufs ; Procéder à une pause sur les normes de la construction afin d’avoir le temps de s’approprier les mesures et les règles comme la RE 2020 (Règlementation environnementale) qui fait d’ailleurs suite à la règlementation thermique RT 2012) ; Et, enfin, soutenir les ménages avec des accompagnements fiscaux comme la déductibilité des intérêts d’emprunts aux accédants, revenir sur les critères du Pinel d’avant 2022 ; Revoir les montants et quotité du PTZ au bénéfice de la solvabilité des primo-accédants désormais exclus du marché immobilier et remplacés par les cadres.»
Daniel Léonard, président de la Fédé BTP 84
«Quand une entreprise faisait une belle année, c’est qu’elle avait pu réaliser 3% de marge, explique Daniel Léonard le patron de la Fédé BTP84. Aujourd’hui, avec une inflation entre 5 et 6%, nous travaillons à perte. Le nombre d’appels d’offre est en augmentation de 9% tandis que le montant des opérations a diminué. Nous travaillons sur des chantiers beaucoup plus petits. Le niveau de la commande public reste inquiétant et les projets structurants annoncés l’an dernier ne sortent pas : la déviation d’Orange, le tram, les parkings relais, sont reportés, le carrefour de Bonpas est en études et en acquisition de terrains. Pourtant, en projets structurants, ce sont les seuls annoncés.»
«Nous additionnons les contraintes budgétaires et financières importantes.
Nous faisons face à l’inflation des matériaux, notamment ceux qui utilisent le gaz et d’électricité dans leur processus de création. La suppression du prêt à taux zéro (PTZ) et celle, en 2030, de la suppression de la défiscalisation du gazole non routier (GNR, utilisé par les engins de chantier). Nous avons demandé que l’on n’y adjoigne du colorant afin de nous préserver des vols de carburant sur le chantier car nous risquons fort d’être pillés.»
«Le bilan ?
Les entreprises sont dans une situation inquiétante. Un chiffre d’affaires qui stagne ; Des coûts de production qui explosent ; Des industriels qui maintiennent des augmentations en permanence ; et surtout, des assureurs de crédit qui marquent les entreprises en rouge avec des cotations à risque –elles sont désormais en position de laisser vivre ou de tuer une entreprise- ce qui a pour conséquence d’enjoindre les fournisseurs à de nouvelles pratiques comme de vous demander de payer au cul du camion.»
Des opérations reportées
«Nous observons une forme d’attentisme inquiétant car lorsque les projets sont prêts et budgétisés, les opérations sont reportées. Les chiffres clés de notre département ? Une forte diminution des permis de construire avec -17% ; Des mises en chantiers des appartements en recul avec -14% ; Idem pour le non-résidentiel neuf avec -18%. Autre indicateur de cette crise qui s’amorce ? La production de béton prêt à l’emploi connaît une forte diminution avec -12%.»
L’emploi
«Les entreprises travaillent désormais sans intérimaires. C’est maintenant les salariés permanents qui vont être impactés. La Banque de France nous a annoncé, la semaine dernière, l’arrêt de l’inflation en 2025. Sauf que si nous diminuons nos effectifs maintenant pour redémarrer en 2025, nous ne pourrons pas, parce que nous ne serons plus équipés. Aujourd’hui ? Nous essayons de maintenir nos salariés. Nos marges sont réduites au maximum. Durant ces deux ans, ces salariés, en même temps que leur savoir, partiront à la retraite.»
«Nos propositions
Nous souhaitons le redéploiement du prêt à taux zéro sur tout le territoire ; La mise en place du statut de bailleur privé afin de relancer le locatif ; Le maintien de la TVA à 10% ; La mise en place de ‘Ma prime Adapt’ pour le seniors. Egalement l’accès au prêt immobilier ; Une ZAN territoriale tenant en compte les spécificités du territoire ; Accélérer la rénovation énergétique et la neutralité carbone pour 2050 et, pour cela, l’augmentation du budget de ‘Ma prime renov’; L’instauration d’un dossier unique pour ce dispositif ainsi que la CEE (dispositif des certificats d’économies d’énergie). Nous souhaitons que soit pérennisé le crédit d’impôt pour la rénovation énergétique des locaux professionnels. Concernant l’économie circulaire dans laquelle nous nous inscrivons, l’écotaxe est en place mais les plateformes de collectes n’existent pas. Comme d’habitude le Gouvernement a mis la charrue avant les bœufs. »
«Concernant les infrastructures
et le secteur des Travaux publics, nous devons accélérer, au plan national, la rénovation des réseaux d’eau qui est constituée, à la grande majorité par des installations vieillissantes dont résulte une déperdition de plus de 20% d’eau potable. Egalement le plan vélo, qui bénéficie de 2 milliards d’euros investis d’ici 2027 pour l’aménagement de voies, devrait se réaliser… Certaines communes jouent le jeu, quand d’autres ne bougent pas. Et pourtant il y a urgence. Nos entreprises sont réactives et capables, mais il faut leur laisser les moyens de travailler sinon nous ajouterons à cette crise économique, une crise sociale.»
On récapitule ?
. Quasi-quadruplement des taux d’intérêt en 18 mois à ce jour ;
. Baisse des prix en recul de 4% et de 20% en termes de volumes de ventes depuis fin juin 2023 ;
. Un crédit sur deux est actuellement refusé par les banques ;
. En région Paca, l’offre de location a dégringolé de 43% et 88% des agences ont moins de 10 biens à louer ;
. Sur 22 431 DPE réalisés en Vaucluse 19% étaient en F et G dont 17,9% en appartements et 20,4% en maisons ;
. Le parc de logements en Vaucluse est actuellement estimé en DPE E,F et G à hauteur de 39% ;
. Le prix d’une maison moyenne est de 277 300€. C’est 14% de plus qu’en 2020 ;
. La marge du BTP se situe autour des 3%, tandis que l’inflation affiche entre 5 et 6% ;
. Les permis de construire affichent -17% et les mises en chantier -14%
. Le Vaucluse compte 305 738 logements dont moins de 1 000 ont été vendus cette année ;
. Les réseaux d’eau anciens laissent fuire environ 20% d’eau potable dans la nature ;
. Le Gouvernement a mis à disposition du plan vélo 2 milliards d’euros à utiliser d’ici 2027, pour autant les chantiers de pistes cyclables avancent… paresseusement.