Du ‘Bureau des légendes’ aux ocres de Roussillon. Alex Berger, fraîchement élu président d’Ôkhra, nous plonge dans son histoire et nous conte le ‘Centre de la couleur de Roussillon’, nouveau challenge dans la carrière du maestro de l’audiovisuel.
« J’ai vécu des expériences gratifiantes toute ma vie. Je veux rendre toute cette énergie positive que j’ai reçue », ainsi se résume l’état d’esprit du virtuose du petit écran, niché dans le plus important gisement d’ocre d’Europe. En tenue d’apparat orange fluo estampillée ‘Comité communal contre les feux de forêts Roussillon’, Alex Berger nous reçoit à l’écomusée Ôkhra. Authenticité, imitations théâtrales et vitalité contagieuse. Le producteur de la série française la plus exportée au monde patrouille avec 15 membres pour éviter qu’un brasier ardent ne ternisse cette Provence qui l’éblouit chaque jour.
Producteur et entrepreneur, Alex Berger est avant tout créateur d’émotion. Le natif de Philadelphie dessine des ‘mindmap’, visualise, apporte « sa focale » mais surtout, crée du lien et rassemble autour de la table. Le sénateur Jean-Baptiste Blanc nous glissera à l’oreille lors d’un événement : « c’est exactement ce genre de vision dont le Vaucluse a besoin. »
Dans cette Provence « bénie des Dieux », celui qui a réinventé les codes de la production audiovisuelle française souhaite conjuguer sa créativité aux multiples compétences des fondateurs du Conservatoire des ocres : Barbara et Mathieu Barrois. Objectifs ? Proposer de nouvelles offres pour élargir le concept touristique et développer la fréquentation toute l’année. 100 ans après la construction de l’usine d’ocre et 25 ans après sa renaissance en centre culturel, la muse Ôkhra ne cesse d’inspirer les passions.
Le Pays de Giono
Retour en arrière. 10 bougies, premier périple en provenance de Philadelphie. La mère est française, le père américain, tous deux industriels dans les Vosges. « J’arrivais des Etats-Unis, j’étais ignare et je ne parlais pas très bien le français », se rappelle-t-il. Très vite, le grand-père l’embarque dans un voyage du soleil, il contemple alors sa frimousse émerveillée par la Provence de Giono. Longue traversée sur la Nationale 7, les paysages romanesques défilent, les fragrances enivrent. « C’était magique, je suis môme, j’entends les cigales, je découvre cette lumière unique et intense. J’y suis toujours très sensible », souligne le producteur. Sur la route, le grand-père lui confie une mission : « ouvre l’œil et cherche les vitres peintes sur les façades des bâtiments. » Le jeune Alex termine ses études en Pennsylvanie et revient aussitôt en France. Il fera des allers-retours toute sa vie.
Vient un jour la rencontre avec sa dulcinée, brillante autrice et conférencière en la personne de Florence Servan-Schreiber. « J’ai rencontré ma femme née à Paris sur la plage à Malibu. J’ai l’impression que le scénario était écrit… », se remémore-t-il. Madame faisait ses études, monsieur lançait une première société de production à Los Angeles au côté de Benjamin de Rothschild. L’évidence au premier regard. A l’époque, le beau-père, Jean-Louis Servan-Schreiber, est membre du conseil municipal de Roussillon. « J’ai épousé Florence sur la place du village en 1989, mon beau-père nous a mariés », certaines pages du livre ne souffrent ni du temps, ni des failles de la mémoire.
Premier challenge : l’usine Mathieu
Une première mission lui est alors confiée : travailler sur un concept pour rendre ses lettres de noblesse à la vieille ruine de l’usine Mathieu. Alex Berger proposera ironiquement : « On va faire le centre mondial de la couleur ! » Voilà qu’il retrousse les manches et armé de son bâton de pèlerin tape aux portes des financeurs et de ses confrères de Canal+. Des fonds sont réunis dans la besace pour impulser le projet. Pour diverses raisons, ce dernier ne voit pas le jour, au grand dam du chef d’orchestre. « A l’époque, je me suis promis de ne plus jamais y remettre les pieds ! », ne jamais dire jamais.
Un potentiel inouï
Ce sont finalement Mathieu Barrois et Gisèle Bonnelly (maire de Roussillon) qui rappelleront le producteur à son destin immuable. D’autres élus suivront pour convoquer son souffle de modernité. Los Angeles, New York, Hong Kong, le Franco-Américain ne cesse de multiplier les éloges sur son village. « C’est un lieu magique qui initie au métier de l’ocre, au pigment naturel, à l’origine de la couleur, à peine à un peu plus d’un kilomètre du centre du village ! », juge Alex Berger qui s’incline devant le travail extraordinaire réalisé depuis 25 ans et entend s’inscrire dans la continuité du projet en élargissant son spectre.
Selon Alex Berger, Ôkhra doit se positionner à l’intérieur d’un triangle composé du village de Roussillon, du sentier des ocres et du musée Ôkhra. Toute une stratégie touristique et économique est à imaginer pour insérer un projet culturel au sein même de ce triptyque. Et surtout, rendre le site plus intégré au village, inclure tous les Roussillonnais, offrir une autre dimension au pays d’ocre dont Roussillon sert de porte d’entrée.
Le prisme d’attaque est trouvé : créer un ‘branding’ autour de ce site inédit en France. « Je fabrique des marques à engagement émotionnel, c’est mon métier. Je veux que le Luberon soit le lieu privilégié par les familles pour élever leurs enfants, s’enrichir de la culture et être épanoui », projette le producteur. A l’instar de la série ‘Le Bureau des légendes’, les visiteurs doivent se souvenir de l’expérience, s’émerveiller du bassin d’ocre comme on se délecte d’un épisode. Petit aparté croustillant, c’est dans un bureau loué à Roussillon, en face du marchand de journaux, près du maraîcher et de la pharmacie, qu’Alex Berger a lancé la saison 5 de la série… « Par zoom, merci Vaucluse numérique ! », ponctue le magnat du petit écran.
Place au ‘Méga brainstorming’
Pendant 5 mois, les échanges se multiplient. Un ballet de réunions prend vie, les téléphones sonnent et les idées fusent. « Je suis très visuel, je fais des mindmap. Où se situe le centre, comment gravitent les parties prenantes, quelles sont les principales articulations ? Et surtout, comment imaginer le tourisme Roussillonais dans les décennies à venir. C’est le processus que nous avons inventé pour TOP (The Oligarchs Productions, sa société de production. Ndlr.) », explique Alex Berger.
Une commission de 30 personnes menée par Alain Devaux, conseiller municipal, collecte alors toutes les archives d’hier à aujourd’hui et chaque membre planche sur un thème précis. Les résultats de cette gamberge intellectuelle tombent, le nom résonne pour la première fois dans la pièce : le ‘Centre de la couleur de Roussillon’ vient de naître.
6 domaines fondateurs
Ce fameux centre gravite autour de six domaines. Le premier ? L’histoire et la mémoire de Roussillon. Expliquer comment l’exploitation de cette matière première a changé la physionomie et l’économie d’un village agricole. Pour ce faire, une salle avec une technologie immersive initiera un voyage temporel pour se plonger dans ce patrimoine ocrier. Domaine numéro deux : la science. Quelle est l’origine de la couleur, du pigment, de la lumière, de la vie ? « Nous allons travailler avec le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie pour apprendre ou approfondir ce qu’est la lumière et la couleur… Tout en restant ludique et interactif », explique-t-il. Domaine numéro trois : l’utilisation du pigment dans l’art. Van Gogh, Cezanne, nombreux sont les virtuoses à avoir interprété la lumière qui inonde la Provence.
« Il faut impulser une expérience muséographique, créer un lieu d’exposition digne de ce nom pour rassembler les œuvres majeurs qui expliquent le pigment et la force de la couleur. J’adorerais pouvoir solliciter l’incroyable talent de la Maison Blachère par exemple, dont le génie de la mise en lumière rayonne partout dans le monde depuis Apt, appelle-t-il de ses vœux. La mise en scène de l’exposition ‘Re-création‘ est extrêmement forte. Nous pouvons aussi imaginer comment la lustrerie Mathieu peut élever le ‘Centre de la couleur’ avec la matière… » Quatrième domaine : celui de l’humain et du spectacle vivant. « Être dans le village où Samuel Beckett a été réfugié et qui l’a inspiré pour en ‘En attendant Godot’. Nous avons quelque chose à raconter », poursuit-il.
Domaine numéro cinq : l’environnement. Intégrer le ‘Centre de la couleur’ dans une volonté de sensibilisation et d’action au côté du Parc naturel du Luberon. L’équipe a déjà commencé à réfléchir sur des parcours d’essence de couleur avec un côté interactif. Le chantier d’aménagement a débuté sous l’impulsion du Conseil municipal, imaginé par Cédric Lefebvre. Sixième et dernier volet : l’aspect ludique du centre. Comment divertir la famille tout en améliorant le bien-être ? Des espaces de jeu avec des fontaines de couleurs et de fraîcheur sont par exemple envisagées.
Encourager la fréquentation à l’année
Au-delà du festival incontournable d’Avignon, Alex Berger veut étendre l’espace culturel et multiplier les points d’entrée du département. « Dans le 5e département le plus pauvre de France, avec une disparité économique importante, j’aimerais que la culture soit accessible à tous. Je veux briser ce plafond de verre et donner envie à tous les publics de s’approprier leur espace », ambitionne Alex Berger. Le producteur souhaite impulser une dynamique de fréquentation sur toute l’année, pas seulement en période estivale.
« Il faut encourager la sédentarité des visiteurs et leur donner envie de s’installer ici », fort de ces anciennes expériences à la Grotte Chauvet ou au musée du Louvre, Alex Berger table sur une gestion intelligente des flux concernant les 400 à 700 000 visiteurs par an à Roussillon. Les visiteurs doivent intégrer le ‘Centre de la couleur de Roussillon’ dans leur itinéraire touristique en vue d’enrichir leur expérience. L’objectif est de rendre l’offre plus pérenne, attractive, car unique au monde et complémentaire à ce qui existe déjà dans la région.
Le producteur-concepteur écoute, échange, questionne Gisèle Bonnelly et son équipe. Dominique Santoni, Jean-Baptiste Blanc, la préfecture, les agences de développement, les représentants du territoire, les Vauclusiens et les maires concernés, tous prennent part à la réflexion. « Ces élus sont confrontés à de vrais enjeux en matière d’attractivité. Dominique Santoni est une femme qui ose car elle a une vision, elle connaît parfaitement ses dossiers. Je suis impressionné quand je vois Gisèle Bonnelly et sa façon de gérer Roussillon. Qu’on le veuille ou non, une commune est une entreprise, avec des règles différentes puisque tournées vers l’intérêt général. C’est tellement complexe et intéressant à la fois », explique celui qui s’était investi au côté de l’édile lors des campagnes municipales.
« Je me sens de plus en plus Roussillonnais, j’y vis majoritairement dans la semaine et je suis interpellé par la politique locale. On a besoin de trouver des solutions ambitieuses et concrètes », poursuit le producteur. Sa croisade ? Apporter son œil extérieur, « accélérer les particules », impulser une réelle stratégie touristique autour de la marque ‘Roussillon’ pour les années à venir. « Nous vivons grâce au tourisme mais nous devons rester authentiques, ne pas perdre notre identité provençale tout en sublimant notre environnement », insiste-t-il.
Chevalier des Arts et des Lettres
Une jolie consécration : être fait chevalier des Arts et des Lettres par le sénateur Jean-Baptiste Blanc, au côté d’Omar Sy, longue amitié de 25 ans. « Figurez-vous que je n’étais absolument pas au courant. J’ai reçu un email de l’ambassade de France à Washington. Puis un deuxième provenant d’un consulat des Etats-Unis me disant « très belle nomination, bravo ! ». Intrigué, je défile le journal officiel et je vois mon nom… »
« Être décoré en présence de ma famille, des gens que j’aime, à Roussillon, c’était bouleversant, un honneur. Quand j’ai vu Omar au fond, j’étais extrêmement content. C’est vraiment quelqu’un que j’estime, il rayonne et a su rester humble. Comme pas mal de personnes que j’ai eu la chance de côtoyer dans ma vie… » Et d’ajouter : « Quelle grâce absolue d’avoir une idée originale et de la voir se matérialiser, j’ai une reconnaissance planétaire. Quelle gratitude d’avoir toujours choisi mes combats par rapport à ce qui me faisait vraiment du bien. Ce qui me faisait kiffer. »
Dernière anecdote destinée aux pessimistes, qui las des obstacles, finissent par renoncer. « Quand j’étais môme, j’étais au centre aéré et mon moniteur qui faisait l’Ecole de l’Air nous racontait… A 12 ans dans les Vosges, je voulais absolument devenir pilote de chasse, mais je n’ai jamais pu, je portais des lunettes », se remémore-t-il. Le 9 décembre prochain, Alex Berger recevra ses insignes de Colonel de l’Armée de l’Air et de l’Espace dans la réserve civile de ce corps prestigieux.