Direction l’abbaye Notre dame de Bon secours à Blauvac. Ici 15 femmes de Dieu –de 39 à 90 ans- fabriquent 20 millions d’hosties, dont elles sont les premières productrices en France, et depuis peu, des oreillers de luxe en plumette d’oie. Retour sur leur expérience entrepreneuriale.
Nous voici sur les petites routes sinueuses au cœur du Parc naturel régional du Mont Ventoux, d’une campagne foisonnante qui se réveille enfin. Alors que les cerisiers fleurissent et que la vigne se refait une beauté, voici qu’apparait le Mont Ventoux, puis le village de Blauvac, et enfin, perdue dans son écrin de verdure -25 hectares- l’abbaye Notre-Dame de Bon secours. Ici vivent, depuis 1991, 15 sœurs cisterciennes-trappistes réunies autour de la mère-abbesse Anne-Emmanuelle Devêche. Sœur Marie-Samuel nous accueille.
L’interview de sœur Marie-Samuel
«Nous vivions de notre fabrication d’hosties jusqu’au Covid, relate sœur Marie-Samuel, en charge des questions économiques. La fermeture des églises, la réouverture de notre lieu à effectif réduit, les personnes âgées qu’il ne faut surtout pas mettre en présence du virus, tout cela a entamé notre activité… De 2019 à 2020 nous avons perdu plus de 40% de notre production que nous n’avons pas retrouvée. Aujourd’hui ? Nous sommes à -30% car si nous avons retrouvé nos clients, nous n’avons pas encore repris notre niveau de production. »
Nous n’avons pas été aidées par le Gouvernement
«Comme nous étions affectées en entreprise alimentaire nous n’avons été éligibles à aucune aide. Il n’y avait pas de case, au Ministère de l’Économie, pour la fabrication d’hosties. En revanche, Nous avons été très aidées par l’association nationale Ecti, très présente en Vaucluse. Ce sont des chefs d’entreprises qui mettent leurs compétences au service des autres.»
Il a fallu trouver des solutions car nous sommes 15 à vivre ici
«Parallèlement, Le Carmel de Verdun dans la Meuse qui produit des couettes et venait de cesser la confection d’oreillers, nous a proposé de reprendre la production de ceux-ci. Pas facile, cependant, de trouver des machines telles que la souffleuse –en provenance d’Allemagne qui emplie les oreillers de plumes, ou les quelque pièces défaillantes de celle-ci durant le Covid-. Quant aux oreillers ? Il y a une vraie demande d’oreillers de luxe et d’édredons car le Vaucluse est riche en hôtels de luxe et gîtes.»
Un atelier de fabrique d’oreillers
«C’est un atelier facile, complète sœur Marie-Christelle, nous coupons le tissu -à mailles très serrées-, cousons à la machine, gonflons les oreillers de plume, puis finissons la couture. Nous comptons fabriquer 1 000 oreillers en 2023, contre 500 en 2022. Après ? Nous souhaitons confectionner des oreillers avec une majorité de duvet. Les oreillers sont à la vente sur la boutique artisanale des monastères en ligne Théophile, sur notre propre site Internet et au magasin pour des prix entre 60,50€ et 65,50€ pièce.»
Dans le détail
«Les oreillers sont fabriqués en plumette d’oie, détaille sœur Marie-Samuel, c’est la plume qui se trouve entre le duvet et les grandes plumes. Celles-ci sont prélevées sur bêtes mortes et proviennent d’un élevage d’oies en Lozère. Elles sont lavées, traitées anti-acariens et allergies.»
Un chiffre d’affaires de 560 000€ en 2019
«En 2019, nous avions réalisé un chiffre d’affaires de 560 000€ mais le Covid nous a fait dévisser de 40%. En 2022, nous avons redressé la barre de 10%. Nous sommes 15 sœurs et travaillons avec 5 salariés dont un cuisinier –auparavant grand chef gastronomique- qui créé une restauration de grande qualité, car avec la réception en hôtellerie nous pouvons accueillir jusqu’à plus de 25 personnes. Notre chef propose des gourmandises à la vente : meringues, financiers, guimauves, nougat au vin… Une gérante s’occupe de la boutique.»
Nous proposerons bientôt des produits cosmétiques
«L’association Ecti a également soulevé une nouvelle piste de produits cosmétique pour les jambes lourdes. Son histoire ? Lorsque nous étions encore à Montélimar, une de nos sœurs, dont les parents étaient pharmaciens, a concocté une recette cosmétique à base de marron d’inde et de lavandin –autrefois appelée Blandinine-, pour soigner les jambes lourdes et la couperose. Nous avons remis la formule au goût du jour et aux normes européennes en partenariat avec un laboratoire. C’est une formule en spray qui va également sortir en gel. Le produit sortira au printemps.»
Et puis notre activité principale reste la prière
«7 offices égrainent nos journées, nous avons donc 5 heures à consacrer au travail par jour, 6 jours sur 7 et 300 jours par an ce qui, finalement, revient à un temps plein. Les hosties restent donc notre produit phare, même s’il est très chronophage ; les oreillers pourraient prendre la deuxième place des produits les plus vendus, puis le magasin, couplé à de la vente à distance.»
L’âge moyen de la congrégation est de 65 ans.
«Nous n’avons pas de jeunes qui entrent en religion comme il y a 50 ans. Les personnes venues frapper à notre porte ont entre 40 et 60 ans. C’est une richesse, car ce sont des gens qui ont travaillé, ont pris des responsabilités. Quand cesse-t-on toute activité ? (sourire) Quand on ne peut plus travailler. Nos sœurs ainées nous le répètent : il est important pour elles de continuer à travailler et à participer à la communauté. Et puis, nous ne demandons pas la rentabilité.»
En avant pour la fabrique des hosties
Nous faisons le trajet de la farine avec Sœur Claire-Geneviève. «L’hostie ? Elle est essentiellement composée de pur blé de froment de l’année et d’eau, selon les normes canoniques, entame Sœur Claire-Geneviève. Le minotier qui nous fournit travaille avec des producteurs de la région, essentiellement de Drôme provençale. Le blé est sans ajouts chimiques et les insectes sont retirés de façon mécanique. Dehors, deux silos peuvent accueillir jusqu’à 8 tonnes de blé. Entrées dans la salle de cuisson, nous avons accès à la sortie des silos, à la balance, au pétrin, où l’on mélange 20 kilos de farine pour tout autant d’eau.»
Les machines à fabrique d’hosties
«Une fois la pâte faite, nous la versons dans les machines qui à leur tour la versent dans les moules rectangulaires –à la manière des crêpes ou des gaufres-. Puis les plaques, une fois séchées, passent en salle d’humidification pour être embouties –sans casser- et produire des hosties rondes blanches et dorées parfaitement découpées.»
25 monastères, en France, fabriquent des hosties
«Pourquoi ces deux couleurs ? Jusque dans les années 1970 les hosties blanches étaient les plus demandées, se remémore sœur Claire-Geneviève. Les hosties pour les fidèles font 32 millimètres de diamètre. Les hosties de célébration, pour le prêtre, vont de 70 à 80mm de diamètre ; pour les rassemblements elles font de 12 à 28 centimètres. Nous faisons aussi des hosties sur mesure pour les anciens ostensoirs (des16e, 17e siècles). Nous sommes 25 monastères en France à fabriquer des hosties.»
Le pain azyme au temps de Jésus
«En 2019 nous tournions à 560 000€ de chiffre d’affaires principalement avec les hosties pour les fidèles, précise sœur Marie-Samuel. Nous faisons un peu d’export pour les pays européens, principalement en Italie, qui aquièrent des hosties dorées pour se rapprocher le plus possible du pain azyme que Jésus a partagé avec ses disciples.»
La différence entre les hosties blanches et dorées ?
«Les hosties sont blanches lorsque la cuisson est faite aussitôt après la fabrication de la recette, alors que pour les hosties dorées, la pâte est faite la veille et repose avant d’être cuite à une température plus élevée. Nos clients ? Ce sont des paroisses, des communautés religieuses, également des revendeurs comme des ciergeries qui proposent tout un panel de produits nécessaires à un curé de paroisse.»
La symbolique de l’hostie
Hostie –hostia signifie victime offerte en expiation- La communion commémore la Cène, lorsque Jésus partage le pain avec ses disciples, ce qui a instauré le sacrement d’eucharistie, symbole de la mort et de la résurrection de Jésus (le jour de Pâques).
Le contexte
Lors de la révolution Française, les vœux religieux sont interdits par L’Assemblée constituante et les abbayes menacées. Dom Augustin de Lestrange, de l’abbaye de la Trappe de Soligny, perspicace quant à la tournure des évènements, entraîne sa communauté sur les routes, au moment de l’exode Napoléonien direction la Suisse – pays réputé pour sa neutralité-, plus précisément à Sembracher, où il est rejoint par les frères et sœurs qui fuient les persécutions. Mais l’invasion de la Suisse par la France (1797-1798) oblige les hommes de Dieu à fuir en direction de la Russie.
La chute de Napoléon
A la restauration, les communautés exilées peuvent enfin revenir en France. C’est ainsi qu’en 1816 les moniales s’installent dans les faubourgs de Lyon, quartier Gorges du loup, à Vaise dans le 9e arrondissement, sous le patronage de Notre-Dame de Bon secours. Mais la vie dans la grande ville ne leur sied pas et la Révolte des Canuts les inquiète. «Les sœurs fondent, en août 1834, l’abbaye de Maubec, dans la Drôme », relate sœur Marie-Samuel. De 1847 à 1931 les moniales tiennent un orphelinat et fondent la Maison Saint-Joseph où elles enseignent aux jeunes-filles de 6 à 18 ans. Elles développent également tout un artisanat monastique travail de la soie, fabrication du nougat et inventent le ‘Quina’, un vin fortifiant.
Quand les sœurs essaiment
En 1860, la communauté accueillait 180 religieuses. C’est beaucoup. Des groupes se forment partant fonder de nouveaux monastères. C’est ainsi que naissent l’Abbaye Sainte-Marie du Rivet en Gironde en 1852, l’abbaye de Bonneval dans l’Aveyron en 1875, l’abbaye de Chambarand en 1931, en Isère. Aujourd’hui cette lignée compte 27 monastères à travers le monde.
De Maubec à Blauvac
«Mais en 1991 il devient difficile pour la communauté de Maubec qui s’amenuise, relève sœur Marie-Samuel -les sœurs ne sont plus qu’une trentaine- d’entretenir les 100 hectares et les nombreux bâtiments. Nous cherchons un ancien monastère qui aurait été confisqué à la révolution. Un ami de la communauté a été détourné de sa route par des travaux, il a vu que cette propriété était à vendre et voici que nous nous y installons en 1991.»
Le château de Bagnol à Blauvac
«Notre choix se porte sur le château de Bagnol –qui appartenait à une famille italienne arrivée avec les papes. Elle avait misé sur les emprunts Russes. Ruinée, la famille vend alors la propriété à un homme d’affaires Belge qui en fait son lieu de villégiature, au creux de 100 hectares de nature, avant de partir au Congo. La famille Italienne a souhaité racheter une partie du domaine et nous l’autre », indique la sœur. Nous nous y installons en 1991 et continuons à y fabriquer des hosties comme nous le faisions depuis 1909 à Maubec.
Un oasis pour se retrouver
La communauté propose des retraites de quelques jours à 8 jours maximum au gré de 19 chambres –individuelles et doubles- dont une dévolue aux personnes à mobilité réduite (PMR). Les invités prendront leur repas en silence, participeront à la préparation des salles à manger et à la vaisselle. Les personnes accueillies participent aux frais. Il est de bon ton de participer à au moins un office par jour. Lors de ces retraites, les hôtes peuvent-être accompagnés dans leur cheminement spirituel. L’hôtellerie est ouverte toute l’année –à l’exception des 3 premières semaines de l’année dévolues au grand ménage- Cette activité a accueilli, en 2022, 3050 nuits. « Nous avons reçus les entrepreneurs chrétiens de la Drôme venus partager leur expérience économique durant la période du Covid », se souvient sœur Marie-Samuel.
Sur la route de Saint-Jacques de Compostelle
Située sur la route de Saint-Jacques de Compostelle, le monastère offre aux pèlerins l’eau de la fontaine de Saint-Jacques depuis des siècles pour s’y désaltérer et participer par la prière et la marche, à leur cheminement spirituel.
L’actu
L’abbaye propose une retraite sur les pas de François Cheng du 24 au 26 mars sur le thème ‘Ne rien négliger de ce que la vie comporte avec sœur Bénédicte de la Croix’. Ce temps de rencontre est organisé par l’Institut de Sciences et Théologie des religions de Marseille. Également du 2 au 5 mai et du 16 au 21 mai, l’abbaye propose des travaux de jardinage, de peinture et de bricolage ; Des journées découverte de la vie monastique cistercienne pour approfondir sa vie intérieure, partager la prière liturgique, des temps pour ouvrir la bible et échanger avec les sœurs, le 30 juin et le 2 juillet après-midi. Des expos s’y déroulent également.
Les infos pratiques
Abbaye Notre dame de Bon secours. 994, route de Saint-Estève 84 570 Blauvac. Pour contacter la sœur hôtelière 04 90 61 79 37 & hoteliere@abbaye-blauvac.com