Quand Tiago Rodrigues propose à Julie Deliquet d’investir la Cour d’Honneur en ouverture du 77e festival d’Avignon
On connaît la genèse du projet : l’amour du théâtre pour le cinéaste et l’amour du cinéma pour la metteuse en scène. Fréderick Wiseman, cinéaste de documentaire américain – oscarisé et Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière- contacte la metteuse en scène Julie Deliquet , trouvant intéressant d’adapter au théâtre son documentaire Welfare tourné en 1975 à New York. Il avait déjà vu et apprécié les adaptations réalisées par la jeune directrice du Théâtre Gérard Philippe à Saint-Denis : Fanny et Alexandre de Bergmann ou Un conte de Noël de Deplechin.
De l’écran au mur du Palais
L’adaptation de Julie Deliquet garde l’époque (1973), l’unité de lieu, l’unité de temps (une journée) et les thèmes traités dans le film de Wiseman portés par 15 acteurs.
L’action se passe donc dans un gymnase accueillant la permanence d’urgence d’un centre d’aide sociale, à New-York en 1973 : mères célibataires, paumés, immigrés, sans-abri, soldat vétéran attendant d’être reçus un après l’autre par les travailleurs sociaux. L’adaptation garde l’esprit du film en relayant les thèmes récurrents : accès aux droits, dossiers incomplets, acharnement de l’administration, manque de personnels mais choisit de réunir les acteurs sur un grand plateau – en l’occurrence un terrain de basket.- pour à la fois les distinguer et les réunir.
La parole restituée
Il y a dans Welfare un tourbillon de mots et de situations avec des problématiques sociales qui, bien que se ressemblant, restent figées dans la litanie des réclamations diverses, la répétition des situations désespérées, l’échec des solutions d’urgence, permettant de mettre en valeur chacun des dix personnages-demandeurs, en exhumant des histoires singulières et des trajets de vie sans pathos. Ce qui peut manquer est peut être ‘absence de dramaturgie car en collant aux situations décrites dans le documentaire de Wiseman, on frise effectivement une succession de cas individuels.
Au suivant
La dramaturgie se crée cependant par ce temps long vécu également par nous spectateurs, qui aurions presque envie de lever la main pour répondre à la sempiternelle question «A qui le tour, au suivant ?» qui se pose sur le plateau. Cinquante ans après, dans un autre pays, on connaît tous quelqu’un que l’on pourrait emmener dans ce centre pour résoudre des problèmes de faim ou de logement.
Alors oui ! La mise en scène est peut être sans surprise : exposés des cas individuels, mi-temps où les barrières s’estompent, puis reprise des consultations où la tension monte et où les travailleurs sociaux «craquent» eux aussi. Mais les comédiens sont merveilleux, magnifiques passeurs de parole et témoins d’histoires, visiblement étroitement impliqués et associés à la création de cette fresque sociale, spécialement pour Avignon.
La parole de Julie Deliquet lors du Café des Idées au Cloître Saint-Louis
«Il y a autant de prises de paroles qu’il y a de langage. Donc ça a demandé de l’étude, du soin, de l’attention, de prendre le temps de l’écoute pour pouvoir accueillir aussi les différences de langages. C’est une parole publique, on ne passe pas par le prisme de l’intime puisque cette parole elle est faite pour être entendue par un autre. Donc déjà la question de la légitimité ne se pose pas. C’est une parole nécessaire, avec de la stratégie, faite pour être entendue. Rien n’est victimisant dans l’oeuvre de Wiseman car c’est une parole qui fait réadvenir citoyen ou citoyenne et en ça, c’est le théâtre de la vie quotidienne. On n’est jamais dans une conversation d’intimité, on n’est pas dans une confession, on est vraiment dans une parole qui agit, on est dans du Verbe d’état, dans du Verbe d’action. L’Autre, le spectateur, a aussi une écoute active, on partage, on se questionne ensemble…»
Welfare. 10, 11, 12, 13 et 14 juillet. 22h. 10 à 45€. Cour d’Honneur du Palais des Papes. Réservation ici.
Rétrospective Frederick Wiseman. Jusqu’au 25 juillet. Cinéma Utopia. La Manutention.