Depuis la première édition des Rencontres du Sud en 2011, Avignon se transforme pendant une semaine au mois de mars en carrefour du cinéma et capitale du 7e art. Réservée aux professionnels, elle s’est ouverte ensuite aux étudiants s’orientant vers les métiers du cinéma, puis partiellement au public, notamment avec le ciné pitchoun pour les enfants. Après une mémorable 9e édition en 2019 cette manifestation cinématographique idéalement placée après le Festival de Berlin en février et le festival de Cannes en mai, avait dû être annulée pour cause sanitaire en 2020 et 2021.
Plus de 300 professionnels
Cette année les Rencontres se sont déroulées essentiellement au centre-ville, au Vox et à Utopia, ainsi qu’au Capitole Studios Le Pontet. Elles ont attiré du 14 au 19 mars plus de 300 professionnels heureux d’une liberté retrouvée, de voir le cinéma reprendre des couleurs, et impatients d’échanger et découvrir les nouveaux films en avant-première. Dix-sept films de qualité leur ont été proposés. Une programmation internationale avec des films français, espagnol, croate, argentin, japonais, coréen. Et cinq équipes venues présenter chacune leur film. Parmi ces personnalités du cinéma présentes : Cédric Klapisch réalisateur de ‘En Corps’ avec Santiago Amigorena coscénariste, Jean-Pierre Améris pour ‘Les folies fermières’, Thierry Demaisière et Alban, Turlai pour ‘Allons enfants’, Gustave Kerven réalisateur de ‘En même temps’ et la réalisatrice espagnole Clara Roquet pour son premier long-métrage ‘Libertad’.
Fait notable cette année, l’hommage à la famille Bizot à la tête du cinéma le Vox place de l’Horloge en plein cœur de la cité des papes depuis 1922. Un cinéma indépendant cher aux avignonnais qui fête ses 100 ans (voir ci-dessous).
Trophée des lycéens
Cette année pas de Victoires, cérémonie prestigieuse de clôture où était dévoilé le palmarès du festival des montreurs d’images. Mais un prix décerné par les étudiants a été attribué à ‘Murina’ premier long métrage de la croate Antoneta Alamat Kusijanovic. Le trophée du prix des lycéens, des élèves de terminale du lycée Robert Schuman, a été décerné au même film. Au final le bilan est très satisfaisant pour un festival qui a permis de célébrer le 7ème art autour d’oeuvres magnifiques et d’un savoureux mélange de films d’auteur ou commerciaux.
Jean-Dominique Réga
Les 100 ans du cinéma Vox et l’hommage à la famille Bizot
Jeudi 17 mars dans la grande salle du Vox nombreux étaient les professionnels et les avignonnais venus rendre hommage à la famille Bizot et fêter les 100 ans du Vox. Un cinéma qui en 1922 était exploité par Joseph Bizot (1881-1967) grand-père de Jean-Paul Bizot et arrière grand-père d’Emmanuel. Ce dernier en a pris la gérance en 1994 après avoir rejoint ses parents Jean-Paul et Léonie en 1989.
« Des exploitants emblématiques » pour René Kraus président des Rencontres du Sud et directeur général du multiplex Capitole Studios au Pontet. « Cet art qu’est le cinéma s’est renouvelé, a changé, évolué, et la famille Bizot est toujours à la tête du Vox. Nous tenions particulièrement à la célébrer» a-t-il ajouté avant de laisser la parole à Cécile Helle qui a fait part de son émotion et sa satisfaction en tant que maire d’Avignon, de voir un cinéma indépendant du centre ville en capacité de se maintenir.
« Grâce à l’implication et l’engagement exceptionnel d’une famille unie. Le Vox était dans votre cœur quand vous l’avez repris. Vous avez fait des travaux ambitieux pour passer à deux salles, le moderniser et créer un restaurant place de l’Horloge. Vous avez su vous adapter, développer une activité autour du théâtre en juillet et effectuer des changements tout en gardant l’âme du lieu où tous les avignonnais ont des souvenirs ». Elle a souligné également l’ouverture d’esprit de la famille. « Un cinéma doit vibrer de la vie locale et vous avez su ouvrir vos salles à tous, lors des campagnes électorales par exemple ».
Puis Cécile Helle a remis à Jean-Paul et Léonie à la tête du cinéma en 1976 et aujourd’hui encore figures du Vox, l’ordre national du Mérite au grade de chevalier. Une décoration qui a pour vocation de récompenser les mérites distingués et d’encourager les forces vives du pays. « La relève est là, vous pouvez être fiers » a conclu le maire en épinglant les décorations en présence du fils d’Emmanuel, Baptiste 12 ans symbolisant une 5ème génération qui pourrait bien continuer l’aventure… Au cours de cette soirée, après un petit film d’Emmanuel rendant un bel hommage à ses parents, Léonie et Jean-Paul ont également reçu le Mérite cinématographique au grade de commandeur.
Jeudi 18 mars le réalisateur Cédric Klapisch a présenté en avant-première ‘En Corps’. Il était accompagné de Santiago Amigorena avec qui il a co-écrit le scénario.
Ce film qui réunit Marion Barbeau dans le rôle principal, Hofesh Shechter, Denis Podalydès, Muriel Robin, Pio Marmaï, François Civil, Souheila Yacoub, raconte l’histoire d’Elise, 26 ans, grande danseuse classique qui se blesse pendant un spectacle puis apprend qu’elle ne pourra plus danser. Dès lors sa vie va être bouleversée. Entre Paris et Rémignac en Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, des déceptions et des espoirs, elle va se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine et retrouver un nouvel élan et une nouvelle façon de vivre.
Après son documentaire consacré à Aurélie Dupont en 2010 Cédric Klapisch se replonge dans un univers qu’il connaît. Il a d’ailleurs monté pendant le confinement ‘Dire merci’ un petit film collectif des danseurs de l’opéra qui se sont filmés chez eux avec leur smartphone. Le film de 4’40 devenu viral a fait le tour du monde. « J’aime la danse depuis longtemps et c’est la raison pour laquelle on m’avait proposé de réaliser ’L’espace d’un instant’. Je suis spectateur de ça. J’ai beaucoup filmé à l’opéra de Paris. Rien que de les voir s’échauffer le matin c’est un spectacle »
« Ce film est une fiction autour de la danse. A Aurélie Dupont on avait dit aussi qu’elle ne pourrait plus danser… Mais comme le dit François Civil dans le film, le corps est mystérieux. Je savais que Marion Barbeau avait les compétences danse classique et contemporaine. Elle s’est imposée dans le casting. J’ai l’impression que j’ai réussi à raconter une histoire » explique Cédric Klapisch qui réalise là un film émouvant qui a été plébiscité. Un bel hommage à la danse et à la joie de vivre.
Clara Roquet, réalisatrice espagnole de 33 ans, était présente aux Rencontres du Sud pour présenter ‘Libertad’ son premier long-métrage. Scénariste de renom en Espagne et en Amérique du Sud, elle a commencé sa carrière en 2014 en co-écrivant le multi-primé ’10 000 KM’ aux côtés du réalisateur Carlos Marques-Marcet. Récompensée avec les courts métrages ‘El Adios’ (2015) et ‘Good Girl’ en 2018, elle a réalisé également deux épisodes de ‘Tijuana’ série produite pour Netflix.
‘Libertad’ raconte l’histoire d’une amitié entre deux adolescentes, Nora, qui fait partie d’une famille bourgeoise, et Libertad, jeune colombienne fille de domestique. Le temps d’un été apparemment idyllique…
Bien plus qu’un passage à l’âge adulte le film pointe certaines réalités comme le manque d’intégration, la maltraitance que subissent les domestiques, les conventions familiales basées sur le mensonge, la différence entre les classes sociales…
« Il peut y voir une conséquence même inconsciente du colonialisme » explique Clara. « Ces personnes d’Amérique du Sud qui viennent en Europe pour travailler, préfèrent venir en Espagne pour la langue. Il y a dans mon pays une supériorité sous-jacente par rapport à ces gens là qui arrivent dans une famille où on leur demande de faire un peu tout, et deviennent un peu esclaves ». C’est aussi une histoire sur l’identité et la famille. « Dans l’adolescence on commence à construire sa propre identité. Nora se bat contre son monde en perdition et Libertad contre une société de classe dans laquelle la liberté et la dignité ne semblent être accessible qu’à ceux qui en ont les moyens » conclue Clara Roquet qui aime le cinéma expérimental, celui qui n’impose pas de conclusion et implique le spectateur dans une expérience émotionnelle.
‘En même temps’ le dernier long-métrage de Gustave Kerven et Benoit Delépine sort en salle le 6 avril quatre jours avant le premier tour de l’élection présidentielle. Cette comédie qui réunit notamment Vincent Macaigne, Jonathan Cohen, India Hair, Yolande Moreau, aborde avec humour la politique, l’écologie, le féminisme et le patriarcat.
Dans le film, un élu de droite tente de convaincre un maire de gauche, écologiste, de s’associer à lui afin de transformer une forêt en parc de loisirs. Alors que les deux hommes sont sur le point de conclure leur marché, un gang de féministes arrive à les coller l’un à l’autre. Un acte de rébellion contre le système politique et patriarcal qui a pour conséquence d’unir les deux hommes contre leur gré.
Gustave Kerven qui garde de bons souvenirs de la Cité des papes lorsqu’il était étudiant, était présent aux Rencontres du Sud pour présenter aux professionnels son nouveau long-métrage coréalisé avec son compère Benoit Delépine. « Les deux personnages sont des politiciens différents. L’écologiste croit en ce qu’il dit mais prêche dans le désert, et doit affronter toutes les exaspérations individuelles. Celui de droite surfe pour aller dans le sens de ses électeurs. C’est un opportuniste qui profite de son statut, mais que les gens ne prennent plus au sérieux » analyse le réalisateur. « Leur travail rassemble un maximum d’emmerdes. Tout le monde se met à râler pour tout. Chacun n’y voit que son propre intérêt. Les pétitions sur internet, les groupes, les réseaux sociaux, etc… Cela devient impossible. On peut rayer les politiques mais c’est de plus en plus difficile à faire ». Un film avec de l’humour et du fond.
Jean-Pierre Améris, réalisateur, est venu à Avignon présenter son dernier film : « Les folies fermières » dont la sortie nationale est prévue le 11 mai 2022. Une comédie avec Alban Ivanov, Sabrina Ouazani, Michèle Bernier, Moussa Maaskri, Bérengère Krief. Inspirée d’une véritable histoire, celle de David Caumette éleveur dans le Tarn. Pour sauver de la faillite son exploitation agricole, et contre l’avis de ses proches qui sont sceptiques, il va monter un cabaret à la ferme. Le spectacle sera sur scène et dans l’assiette, avec les bons produits du coin !
C’est en regardant un reportage aux actualités régionales de France 3 que le réalisateur a entendu parler de ces faits. Il fait un parallèle avec sa propre histoire « Faire un film est une entreprise un peu folle ! ». Il se rend sur place et au contact des fermiers et d’un monde qu’il ne connaît pas vraiment, en apprend beaucoup. Séduit par la détermination, l’authenticité et le caractère positif du personnage qui répond au désespoir par la fantaisie, il décide d’en faire un film, humain et joyeux qu’il tourne dans le Cantal où il allait dans son enfance avec ses parents.
« Il fallait être juste sur le monde paysan, ne pas cacher leurs difficultés. Faire se rencontrer deux mondes pour permettre de surmonter les à priori des fermiers sur les artistes et de ces derniers sur les paysans. J’ai présenté le film au salon de l’agriculture à Paris. Les paysans s’y retrouvent. Ils vont organiser des débats. Le cinéma réunit », dit en souriant Jean-Pierre Améris avant de conclure : « Ce film est un éloge du collectif et de la fantaisie contre le désespoir ».
Une comédie joyeuse avec de beaux moments d’émotions.
Après les documentaires sur Benjamin Millepied à l’opéra de Paris, sur Rocco Siffredi, puis en 2019 ‘Lourdes’ à la rencontre de pèlerins, Thierry Demaizière et Alban Teurlai sont venus présenter leur film ‘Allons enfants’ dont la sortie nationale est prévue le 13 avril 2022.
C’est l’histoire d’une expérience unique en France. Au coeur de la capitale, le lycée Turgot tente un pari fou : intégrer des élèves de quartiers populaires et briser la spirale de l’échec scolaire par la danse Hip Hop. Dans cet établissement scolaire, l’accueil des élèves est basé sur la bienveillance, l’accompagnement à la scolarité et l’exigence de résultats. C’est dans une ambiance de travail cadrée que les élèves évoluent pour acquérir des connaissances qui doivent leur permettre de poursuivre leurs études et de s’insérer dans la vie professionnelle avec les compétences pour s’épanouir et se construire comme futurs citoyens.
« Nous sommes des portraitistes, ce qui nous amène à découvrir des mondes différents » expliquent les deux réalisateurs pour qui les danseurs de l’opéra sont des professionnels, des athlètes qui passent par la souffrance pour arriver à l’excellence. « Là, les jeunes passionnés de hip-hop font ça avant tout pour kiffer ». Le tournage s’est déroulé sur une année. « Notre intention est de faire du cinéma qui nous intéresse et parle aussi aux autres. Nous prenons le réel et nous racontons ». C’est un film aussi sur le métier d’enseignant avec des professeurs qui croient aux écoles de la République. « Ils ont pour mission de récupérer des jeunes en échec scolaire en allant chercher leur culture pour essayer de les accrocher à l’école. Je les admire » s’enthousiasme Thierry. « Sur toute la bande il n’y en a qu’un qui n’a pas eu le bac et une autre qui n’a pas poursuivi sa scolarité. La plupart continuent leurs études et la danse ». « Les barrières tombent quand des élèves de milieux sociaux différents se retrouvent dans une cour de récréation » ajoute Alban. Un duo de réalisateurs pour qui le titre du film était une évidence. « Ils ont chanté la Marseillaise ». Tout un symbole.
Dossier réalisé par Jean-Dominique Rega