Le groupe Merci se joue des contes de Charles Perrault
Le groupe Merci, qui nous vient de Toulouse, aime maintenir dans ses choix artistiques « des îlots pour s’exposer aux questions qui maintiennent éveillés et pour creuser nos inquiétudes. Des îlots pour dire avec drôlerie nos catastrophes, nos colères, nos inquiétudes sans chercher la fin réconciliatrice. » Il aime les sujets tabous : dans le In en 2022 à la Chartreuse de Villeneuve-les-Avignon, il dialoguait volontiers avec les morts. Dans la charmante cour du Musée Angladon, il s’empare des contes de Charles Perrault réécrits par l’auteur contemporain Emmanuel Adely.
De l’importance des contes de fées
On a beaucoup écrit sur les contes, leur utilité, leur rôle de médiation, capables de guérir, soigner ou aider à grandir selon Bruno Bettelheim ou Françoise Dolto. Ici point de circonvolutions psychanalytiques : le constat est dur et brut. Nos « héros » d’hier sont encore ceux d’aujourd’hui. Seule la langue a opéré un déplacement. Les riches en yacht n’ont rien à envier aux rois et reines d’antan. Les princesses d’hier sont les népo baby d’aujourd’hui. Les questions d’inceste, de domination, de pauvreté sont toujours des réalités. #MeToo a pris le relais pour nous conter des histoires qui n’ont rien de fictif.
En guise d’introduction
L’entrée en scène sur un drôle d’engin à chenilles des deux comédiens donne le ton : on rira, mais on n’éludera rien. Campés sur un terrain de golf, ils entament un dialogue ping-pong, jouent du contre point, et plantent le décor d’un monde résolument moderne de réseaux sociaux, jets et soirées privées, avec des hommes riches, laids et vieux et des femmes idiotes, jeunes et belles. Mais ça n’existe que dans les contes de fées n’est-ce pas ? Il était une fois… mais ça se répète tout le temps.
Trois contes et quelques
Au cours du spectacle, trois contes seront totalement identifiés et racontés : Peau d’âne, Le Petit Chaperon rouge et Barbe Bleue. Mais la pomme lancée par un club de golf ou les cailloux semés en interlude nous incitent, même longtemps après le spectacle, à revisiter dans notre tête tous les contes de notre enfance et on ne peut que frémir devant la pertinence et la modernité malheureuse de ces histoires.
Un ressort comique, une langue incisive, des comédiens qui ne s’en laissent pas conter
Il y a bien sûr le récit, qui est transposé dans un monde « altermondialiste, écologique et anticapitaliste » avec des zadistes, des clodos, des accros, des influenceuses… Mais le rire vient aussi de la construction des histoires qui cochent tous les codes et invariants du conte : univers merveilleux avec des personnages hors du commun qui vont connaître des aventures flamboyantes etc. Les détails de rêve sont conservés, le principe d’énumération aussi. Et les comédiens évoluent précisément, mais librement dans cet entre-deux spatio-temporel.
Quand l’enfant devient une proie, le rire s’éteint
La première partie du spectacle nous a mis en confiance et permis de rire de tous les travers de notre société moderne. Quand Lou — fille ou garçon — entre dans l’antre de Mère Grand qui peut être « un professeur, un journaliste, un homme politique, un universitaire, un écrivain… » même les cigales se taisent. On ne peut s’empêcher de se tourner vers Charles Perrault, dignement installé au premier rang, un peu gêné, arborant une moue suffisante… et le gazon extirpe les cadavres de plusieurs siècles de silence.
Il était une fois…..une fois de trop quelquefois.
Jusqu’au 21 juillet. Relâche le 17. 10h30. 14 et 20€. Musée Angladon. 5 rue Laboureur. Avignon. Billetterie sur place ou www.lamanufacture.org