Vous vous en souvenez encore. Ses lumières, ses vibrations, la pénombre et ces sensations qui ne vous quittent plus. Pourquoi les Carrières de lumières dans les Baux-de-Provence demeure l’une de nos plus belles expériences sensorielles et artistiques ?
La première fois que nos pieds foulent le sol irrégulier, une course folle s’engage. Tous les recoins nous appellent pour livrer leurs secrets. En haut de l’escalier, près de la porte de sortie, sur le point culminant, à côté des marches, nos jambes ont la bougeotte. Visiteurs ébahis, nous voilà lancés dans un mini jogging improvisé, tentant vainement d’explorer chaque angle, de peur de passer à côté de l’histoire. Même si la projection propose les mêmes œuvres iconiques des plus grands génies torturés, chaque spot offre une expérience à la saveur différente. Vite, certaines toiles ne s’affichent que quelques secondes, choisissez votre repère…
Le prolongement artificiel de notre bras ? Parlons-en. Douloureuses minutes durant lesquelles un combat de l’esprit s’engage. Vous vous l’êtes promis, pas de téléphone, juste en prendre plein les mirettes et se délecter du spectacle. De toute façon, mère nature vous a gâté d’un organe plus performant que tous les smartphones réunis : la haute définition de votre œil n’a d’égal que sa sophistication. La lutte se poursuit corps et âmes, puis tout à coup, malheur.
La nature humaine révèle ses faiblesses. La main est déjà dans la poche, l’application photo ouverte, nous voilà photographes sur les marches de Cannes. Contorsions périlleuses, crampes musculaires, zoom, et parfois même quelques vidéos, aventuriers que nous sommes. Quand même dommage que tatie Jeanine ne voit pas cet endroit en esquisse virtuelle. Seulement voilà, combien d’entre nous contemplent à nouveau les photos de ses escapades quelques mois après ? Alors autant profiter de l’instant T pour imprimer l’image la plus fidèle, avant que le temps nous arrache ces précieuses minutes.
Férus d’art, amoureux de la peinture, simples curieux de la technique ou nostalgiques de l’histoire. Pendant plus d’une heure, les âmes se retrouvent sur le même bateau narratif. Tout le monde se regarde, les silhouettes slaloment habilement pour éviter la collision. De temps à autre, un « pardon », « oups », « désolé » lorsque notre corps percute une masse. Inutile de nous confondre en excuses, la musique couvre le son de notre voix. Les enfants virevoltent. Où que vous soyez, les gens vous regardent. Du moins, pas vous, mais le visage doré aux dimensions magistrales de Vincent Van Gogh, derrière votre tête.
L’expérience est mémorable car elle fait appel à un de nos sens le plus puissant, la vue. Les œuvres défilent de manière si limpide que l’on se croirait presque au cinéma, le scenario s’écrit sous nos yeux. Les œuvres sont peintes en temps réel, on discerne alors la texture qui se pose, le mouvement du pinceau, la matière qui se dilue. Quelle prouesse technique vertigineuse offerte par les 1001 rétroprojecteurs derniers cris au-dessus de nos têtes. La narration est parfaite, les pigments des fleurs et autres pommes tranchent avec les portraits noir et blanc et les formes cylindriques contemporaines. Les peintures s’effacent progressivement pour laisser apparaître la suite du spectacle dans un ballet millimétré. L’ingénierie du procédé est de haute volée.
La hauteur des carrières mirobolantes vient laisser son empreinte dans la construction de nos souvenirs. Nos silhouettes fragiles révèlent honteusement leur insignifiance face à l’immensité du lieu frais. Les carrières et leur blancheur calcaire convoquent les ordres de grandeur, notre place dans le cosmos et l’égo surdimensionné de l’Homme qui pourtant n’est qu’atome. Les portraits colossaux révèlent leurs détails, la moustache, les taches de rousseur, le sourire en coin, le regard pétillant ou mort qui vous suit. Tout est décuplé, les courbes comme nos émotions.
Voilà que le sol irrégulier nous fait tituber, contribuant ainsi à perdre nos repères spatiaux-temporels pour se plonger un peu plus dans le surréalisme de l’œuvre. La puissance de cette exposition hors norme tient de sa faculté d’immersion inouïe. Vient ensuite l’ouïe. La musique épouse parfaitement l’univers des peintures, chaque percussion vibrante appuie l’histoire qui défile sous nos yeux. Cigales pour accompagner les peintures provençales. Tantôt entrainante, tantôt reposante, angoissante, ou électrique, les pulsions de la musique nous emmènent très loin.
Le gong final vient de sonner, les applaudissements vibrants s’éternisent. Il est temps de sortir pour laisser ce rêve envelopper d’autres visiteurs. Pourquoi seulement notre corps immobile ne daigne pas bouger d’un iota ?
La nouvelle exposition présente les plus beaux chefs-d’œuvre de Cezanne, visibles jusqu’au 2 janvier 2022. Lire aussi : Baux-de-Provence, Honneur aux chefs d’œuvre de Cezanne. Plus d’informations, cliquez ici.