‘Pitchipoï’ est inspiré de l’ouvrage de Ruth Klüger ‘refus de témoigner’ écrit et mis en scène par Jacky Katu.
Sur scène ?
Une petite fille juive née en 1931 à Vienne, en Autriche, interprétée par Fabienne Babe. Elle veut aller au cinéma –qui est interdit aux juifs- Sa maman lui prend un billet. Elle s’y rend mais alors que la séance prend fin, la fille du boucher est à deux doigts de la dénoncer et lui assène de ne jamais y revenir si elle ne veut pas être dénoncée….
La révolte
L’enfant se révolte. Pourquoi aurait-elle moins de droit que les autres ? Elle s’en ouvre à sa mère qui lui demande de faire profil bas. Peu de temps après, son père, gynécologue, est accusé d’avoir pratiqué un avortement sur une non-juive. Il doit fuir. Arrive, ensuite, le moment où la mère et la fille sont déportées à Auschwitz…
Une immense petite fille
Cette petite fille –c’est le témoignage réel de Ruth Klüger- qui vivra la déportation et les camps de la mort de ses 11 à 14 ans- aux côté de sa maman- va se forger une personnalité hors du commun. C’est une Fabienne Babe à la fois sombre et lumineuse, qui pense, se révolte, célèbre la vie coût que coût dans un monde d’atrocités, refusant la proposition de sa mère d’en finir là, tout de suite, une fois pour toute, en se jetant sur les fils barbelés.
On est pris à la gorge
par ce petit bout de femme en devenir qui trouve les mots justes, percutants, pour ne pas accepter ce qu’elle vit. On est frappé par les silences de ces autres, ces tout petits enfants, brutalement séparés de leurs parents, pour un dernier, effrayant et funeste voyage avec des doudous gisant sur leur passage. Fabienne Babe devenant la voix de ceux qui se sauveront in extremis de l’enfer -elle réussira à s’enfuir avec sa mère- et de ceux qui y disparurent.
Pitchipoï est la voix de ce que l’on ne devra jamais oublier
Une voix sensible, vraie, qui résonne d’humanité dans un monde de ténèbres. Reste la courageuse voix de cette petit fille qui, très jeune, se révolte sous le rouleau compresseur de la guerre et surtout de la mort programmée des juifs. Elle interpelle par une acuité hors du commun, une intelligence vive, par cette révolte dont elle fera le tuteur de sa vie. Dans un monde sans promesse cette petite voix fragile deviendra une très grande dame professeure de lettres aux Etats-Unis et spécialiste de la littérature germanique. Une héroïne décédée il y a peu, en octobre 2020.
Les heures sombres sont-elles vraiment derrière nous ?
De mars 1942 à août 1944 près de 74 000 juifs sont déportés depuis la France vers l’Est. Auschwitz fut le principal camp de la mort. Pitchipoï désigne en yiddish un monde imaginaire, un espace de campagne perdu au milieu de nulle part. Fabienne Babe, cette petite fille de 11 ans nous rappelle à la réalité. Cette horreur a bel et bien existé et les voix des extrémistes partout dans le monde sont encore là pour rappeler que ces infamies ne font pas partie du passé. C’est beau à voir, à écouter, à vivre et garder en tête parce que oui, l’histoire peut toujours se répéter.
Le pire est-il advenu ?
Il y a eu des personnes sous commandement pour séparer les enfants des parents, pour torturer et tuer, pour accepter l’inacceptable… Pour obéir aux ordres, sans en ignorer l’ambition, le projet d’éradication de certaines populations comme les juifs, les résistants, les handicapés, les homosexuels, les gens du voyage… Jacky Katu et Fabienne Babe nous rappellent avec bienveillance et patience qu’hier n’est pas si éloigné de demain. Jacky Katu, encore, par cette pièce rend également hommage à Simone Veil qui à 16 ans, avec sa mère -qui décèdera en captivité- et sa sœur, vécut la déportation et l’internement en camp de concentration à Auschwitz. Elle fut aussi la personnalité politique -alors ministre de la santé- qui porta -sous les quolibets et les pires injures- devant l’Assemblée Nationale, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, avec le soutien de Jacques Chirac qui s’était posté en face d’elle, le droit à l’interruption volontaire de grossesse et la dépénalisation de l’avortement.
Les infos pratiques
Pitchipoï. Jusqu’au 30 juillet. Théâtre de la porte Saint-Michel. Tous les jours à 11h15 sauf le 27 juillet 2022. De 10 à 18€. Durée 1h10. 23, rue Saint-Michel à Avignon. Salle Simone Veil.