Mise en cérémonie par l’élégant et extravagant Calixte de Nigremont, au Château La Nerthe, la 3ème édition de ces « Causeries » a été présentée par l’historien Franck Ferrand qui avait invité à ses côtés les éditorialistes Eugénie Bastié et Franz-Olivier Giesbert.
Le journaliste de « Radio classique » a ainsi entamé le débat : « Au Vème siècle avant notre ère, à Athènes, va naître ce qu’on appelle le pouvoir du peuple, du grec « démos » / peuple et « kratos » pouvoir. C’était une association de citoyens, une forme d’aristocratie qui représentait des milliers de familles, contrairement à la monarchie où un homme gouverne seul. C’est ensuite le grand penseur bordelais Montesquieu qui a parlé de séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire dans « De l’Esprit des lois » en 1748). Puis c’est Abraham Lincoln, le 16ème président des Etats-Unis qui en 1863 parlera d’un gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple. Formulation qui sera d’ailleurs reprise in extenso en 1958 par Michel Debré dans l’article 2 de la Constitution de la Vème République« . Franck Ferrand poursuit : « Est-ce encore si vrai? La démocratie est-elle toujours un projet de société, un mode de citoyenneté? L’état de droit est il garanti? Sommes-nous égaux devant la loi? Sous nos yeux, nous avons vu, lors du Covid une certaine forme de délitement ».
Eugénie Bastié attaque : « La démocratie souffre d’une ambiguité, d’une illusion selon laquelle nous irions vers davantage de droits. C’est une grande erreur. Depuis la chute du Mur de Berlin (1989), la démocratie ne s’est pas répandue dans le monde entier. On voit bien que la Chine s’est modernisée mais elle reste ultra-totalitaire. A la séparation des pouvoirs, en France, nous devons ajouter un autre pilier de la démocratie, la laïcité. Bien sûr on n’a plus de Saint-Barthélémy, en délibérant on trouve des solutions politiques mais s’il n’y a pas de nation, il n’y a pas de démocratie, c’est le cas de l’Union européenne où ces piliers ont tendance à dériver ». Franck Ferrand ajoute : « Dans le classement des démocraties, c’est la Norvège qui arrive en tête avec 9,8/10 suivie de la Nouvelle-Zélande et de l’Islande, dans les 10 premiers figurent d’ailleurs 6 monarchies. La Fr ance se classe en 23ème position. En queue de peloton, on trouve la Libye, le Laos, le Tchad, la Syrie, la Corée du Nord, la Birmanie et l’Afghanistan avec 0,26 /10 ». « On se demande d’où provient ce calcul à la décimale près » ricane Eugénie Bastié, la journaliste du Figaro. Rires dans l’assistance.
C’est alors qu’intervient Franz-Olivier Giesbert : « Je suis le plus vieux des trois, donc j’ai plus de recul que vous. En quoi la démocratie aujourd’hui serait-elle plus menacée qu’avant? Vous confondez l’état de la France avec la démocratie. En 1968, je jetais des pierres contre les gauchistes. C’était du totalitarisme. On ne pouvait pas discuter avec les maoÏstes. L’historien et philosophe britannique Arnold Toynbee (1889-1975) a présenté l’histoire comme comme l’essor et la chute des civilisations plutôt que comme l’histoire d’Etats-Nations. Il identifie les civilisations sur des critères culturels plutôt que nationaux. La civilisation occidentale est traitée comme un tout depuis les Romains, avec des cycles. Avant la France comptait dans le concert des nations. On était le centre du monde on avait Sartre, Camus, le cinéma rayonnait, maintenant, on n’est plus rien ».
Eugénie Bastié intervient ; « Sous de Gaulle, on avait une radio et un TV d’Etat, aux ordres, l’ORTF. C’est Alain Peyrefitte, son ministre et porte-parole qui téléphonait aux rédacteurs-en-chef pour leur dicter le contenu des journaux, tu parles de pluralisme du service public! La démocratie, c’est un combat perpétuel en Occident. Il faut se battre pour la conserver. Comme l’écrivait Montesquieu, seul le pouvoir arrête le pouvoir. L’esprit de la Vème république, c’est le national, le régalien mais maintenant Emmanuel Macron s’occupe de tout, seul dans son bunker, il décide de tout, il en abuse. Avant, on prenait le temps de la réflexion, de l’écrit, c’était l’éloge de la lenteur. Maintenant, on tweete, on ne lit plus, on est noyé dans un flux d’infos, d’images, l’immédiateté et l’instantané priment. Sur les chaînes d’infos, une polémique chasse l’autre à la vitesse grand V. Chacun raconte sa vie sur les réseaux sociaux, inonde le monde de ses selfies égoïstes, individualistes qui n’intéressent personne. »
« Le milieu médiatique se laisse submerger par l’émotion » regrette Franck Ferrand. « La sphère médiatique a envahi la sphère citoyenne. Vous y ajoutez la culture wok et vous avez un débat biaisé. Le problème c’est que ce ne sont plus des institutions élues par le peuple qui prennent les décisions, c’est ça qui menace le plus la démocratie. La place du peuple est plus que réduite. »
FOG évoque les Etats-Unis (où il est né en 1949) et s’étonne qu’on retrouve encore les deux octogénaires, Biden et Trump, candidats à la présidence en novembre prochain. « II n’y a plus de jeunes qui veulent se présenter aujourd’hui. La loi sur le non-cumul des mandats a tout fracassé. Tout se décide à Paris, à fond le jacobinisme. On n’a plus de Georges Frèche à Montpellier, d’Alain Juppé à Bordeaux, de Gérard Collomb à Lyon. Eux, ils exerçaient un vrai pouvoir, ils étaient respectés, on a tué ces ‘barons’. Macron fait appel à des cabinets privés, il nomme ministres des ectoplasmes qui ne lui font surtout pas d’ombre. A Bruxelles ce sont des bureaucrates qui décident pour nous ».
Intervention d’Eugénie Bastié : « C’est quoi la souveraineté? Quand les droits individuels écrasent la majorité? ! Quand la république des juges empêche certaines décisions d’être prises? Quand le peuple ne décide de rien? Quand les flux migratoires ne sont pas maîtrisés? Quand le droit de quelques personnes passe avant l’intérêt général? Si tout cela n’est pas réglé par la démocratie, ça risque de basculer vers un excès d’autoritarisme. Quand Laurent Fabius, le président du Conseil Constitutionnel prévient : ‘Si Marine Le Pen demande un referendum sur l’immigration, c’est non, nous l’empêcherons » . Supprimons le Conseil Constitutionnel, stop! C’est lui qui ouvre la voie à un régime autoritaire. Maîtrisons nos frontières, sinon on va dans le mur ».
Franz-Olivier Giesbert lui emboîte le pas : « Le peuple est dépossédé de son pouvoir par des juges, des technocrates, des instances non élues. Le regroupement familial est souvent, et à tort, attribué à VGE ou à Chirac, mais ce n’est ni l’un ni l’autre. C’est le Conseil d’Etat qui l’a instauré pour faire venir plus de main d’oeuvre en France, c’est lui qui a pris le pouvoir. Pour retrouver une vraie démocratie, il faut remettre le politique au coeur du village. Des hommes et des femmes forts, compétents, volontaires, énergiques. Pas effacés, pleutres, pas des zombies comme les ministres macroniens que personne ne connaît à part deux ou trois sur quarante. La crise de l’immigration, le laisser-faire sont la preuve de ce manque de volonté des politiques aujourd’hui. La Cour Européenne de Justice aussi a pris le pouvoir. Dans le TGV je vois des voyageurs sans papiers, sans bagages, sans billet en 1ère classe qui ne sont jamais contrôlés, jamais verbalisés.
Eugénie Bastié renchérit. « Au Danemark, la gauche au pouvoir s’est demandée où allaient ses impôts. S’ils devaient financer un modèle social, un socle commun aux citoyens ou un Etat-Providence généreux. Mais ils ne pouvaient pas tout faire, ils ont donc tracé une frontière entre les citoyens et les non-citoyens, une barrière entre vie privée et vie publique. En France, Emmanuel Macron s’occupe de ce qui ne le regarde pas. Il nous dit comment éduquer les enfants, faire des économies d’électricité en baissant la température des radiateurs, partager les taches ménagères. Alors qu’il est incapable de fixer un cap, de réguler le régalien, la sécurité des biens et des personnes, il est très intrusif dans nos maisons. Qu’il arrête d’emmerder les Français quotidiennement, comme disait Georges Pompidou, qu’il fasse régner l’ordre et la sécurité ».
Franck Ferrand précise : « Ceux qui ont été élus au pouvoir ne l’ont plus. Toujours plus de normes sont décidées ailleurs, les juges les empêchent de prendre leurs responsabilités. Les gens au pouvoir se sont laissé enfermer, comme Gulliver, ils sont empêtrés. De même, sous le Covid, nous nous sommes tous, docilement, laissé enfermer chez nous ». Cinglante, Eugénie Bastié résume « Macron est fort avec les faibles et faible avec les forts. Par ailleurs le peuple français est schyzo, il a une responsabilité dans la dilution de la démocratie. A la fois il demande plus d’intérêt général et il s’en remet à l’Etat pour tout, du berceau à la tombe pour le logement, la fin de vie, c’est le culte du droit individuel ». Au tour de FOG d’intervenir : « Depuis 1981, le politique suit le peuple or c’est le peuple qui doit suivre celui qu’il a élu avec un programme, une trajectoire. Maintenant l’élu ne pense qu’à sa ré-élection. »
Evidemment, entre trois journalistes il a été question des media. « Normalement, les journalistes devraient constituer le 4ème pouvoir, un contre-pouvoir, mais certains ont une telle complicité avec les politiques que cela confine à l’impuissance. Ils n’ont à se justifier devant personne, ils sont rarement virés pour incompétence. En plus sur les réseaux sociaux, chacun est un media, sans vérification des informations, sans source sûre. C’est le royaume des fake news. Quant à Tiktok, il va bouffer le cerveau des jeunes ».
Tour à tour, les trois intervenants ont conclu au terme d’un débat riche et passionnant. « Il faut régénérer la classe politique pour qu’elle reprenne la main » a dit FOG. « Tiktok, c’est l’opium du peuple, ajoute Franck Ferrand. Avant on se parlait autour d’un café, au bistrot, même si on ne se connaissait pas, on s’écoutait, on échangeait même si on n’était pas d’accord. Maintenant chacun est seul, devant son écran pendant des heures, ça ne fait pas société ». Quant à Eugénie Bastié elle a dégainé sa dernières balle : « Avant les membres du Conseil Constitutionnel étaient de vrais sages, ils incarnaient le bon sens, l’équilibre démocratique. Maintenant ce sont des professeurs de morale. Il faut supprimer cette institution. Ce qu’une loi a fait en la créant, une autre loi peut le défaire ».