In my kitchen a museum
«Confinement jour 1 : Le radis noir a roulé sur le plan de travail de ma cuisine quand le sac de légumes s’est renversé, indique Marc Solal. L’idée de le transformer en colonne de Buren s’est immédiatement imposée à moi. C’est ainsi qu’a commencé cette série qui rend hommage aux plus grands artistes en reproduisant leurs œuvres avec les moyens du bord le plus souvent trouvés dans ma cuisine à raison d’une image par jour. J’ai occupé ce deuxième confinement à la réalisation d’un livre qui retrace ce travail initié le 17 mars et terminé le 11 mai 2020 à minuit ». Dans ce livre d’art, In my kitchen a museum, Marc Solal rend hommage à plus de 50 artistes contemporains. Il est actuellement en vente à la Librairie de la Collection Lambert à Avignon, en commande en librairies et sur Internet.
Still fripon
S’il n’y avait pas eu de 3e confinement Marc Solal aurait animé ‘Still fripon’, à la Collection Lambert : des ateliers pour jeune public (6-12 ans) lors desquels un artiste propose d’expérimenter ‘A la manière de …’, un protocole sous la forme d’une performance photo, dessin, sculpture ou installation. Confinement oblige Marc Solal a écrit un mot aux enfants pour qu’à leur tour, ils s’approprient l’art moderne. Et après ? Les artistes en herbe sont invités à lui envoyer des nouvelles de leurs œuvres. Une initiative née du 1er confinement lorsque les rencontres au musée ont été reportées. stillfripon@collectionlambert.com
Et hop c’est parti pour un 3e confinement
«Voilà, je suis coincé à Paris. Je voulais descendre pour animer des ateliers d’enfants comme je l’ai chaque fois fait avec mes livres mais ça ne sera pas possible. J’habite dans le cœur historique de Paris entre le Marais et Bastille. Le 1er confinement, je n’ose pas le dire mais il a plutôt été salutaire. Sans doute beaucoup de gens l’ont vécu dans de difficiles conditions. Moi, j’ai pu mieux travailler que d’habitude parce que j’étais libéré de toutes les contraintes domestiques. Et puis il y a eu la découverte de Paris sans touriste, sans personne, sans voiture, avec une Seine redevenue transparente, le chant des merles au petit matin… C’était historique, magnifique ! Je sais que je ne reverrai plus jamais la ville ainsi.»
Le temps suspendu
«Je n’avais pas prévu qu’In my kitchen a museum soit un succès, notamment auprès de la Fondation d’Antoine de Galbert (espace d’exposition d’art contemporain). J’ai été flatté que des personnes très inscrites dans le milieu de l’art et aussi des personnes qui n’y connaissaient rien s’intéressent à ce travail. J’ai conçu ce travail dans la fluidité, dans l’évidence. Dedans ? Il y a de la poésie, de l’humour, de la pédagogie, puisque je donne les clefs de l’art contemporain. Je n’ai pas voulu faire de l’imitation, c’est passé par le prisme que j’aime chez l’artiste. Van Gogh disait : ‘Je veux être artiste parce que je faire partie de leur famille’. Moi c’est un peu ça. Mon plaisir ? Partager.»
Etre artiste
«Avant il fallait choisir une discipline : peintre, sculpteur et si c’était sculpteur sur bois ? Sur marbre… Aujourd’hui en étant plasticien l’on choisit le medium qui se prête le mieux à exprimer son idée : vidéo, installation, action urbaine, sculpture… Notre éventail des possibles s’ouvre encore plus avec le numérique. C’est ma fille qui m’a initié à Instagram devenue une vitrine. Des gens y exposent leur travail et je trouve cela sensationnel, même si écrire sur Instragram c’est comme écrire sur du sable. Au 1er coup de vent, à la 1ère vague, la phrase disparaît. Je ne voulais pas et donc je reste très attaché au papier. J’aime l’idée que des années après l’on garde en main cet objet que l’on appelle un livre, qui fait que l’on a plaisir à tourner les pages.»
Numérique versus papier ?
«Quant au numérique ? Le smart phone a eu raison de l’album photos, pourtant le papier a fait ses preuves avec les manuscrits de la Mer morte ! Le numérique aura-t-il une durée de vie aussi longue que le papier lui-même ? Le livre est un objet noble dont je pense qu’il existera toujours. Une œuvre numérique, un NFT (Non fugible token) de l’artiste américain Beeple, s’est vendue aux enchères plus de 69 millions de dollars, je pense que ça va devenir une espèce de mode et d’engouement, pourquoi pas… Je laisse cela à la génération future.»
Matériel/Immatériel
«En 1990 j’avais fait un travail appelé homochromie blanche imprimé sur très grand format. Je photographiais des objets blancs : verre de lait, bougie, ou des choses que je peignais. Je prenais la photo dans l’obscurité avec un très très long temps de pose. A un moment on voyait apparaître l’objet tandis qu’à un autre moment il disparaissait. J’ai toujours travaillé d’une façon très instinctive, naturelle, et ce n’est que des années plus tard que je comprenais la raison qui me poussait à faire ce travail. Je crois que c’était déjà ce que je racontais dans ce travail. J’ai dit à la graphiste avec laquelle je travaillais : ‘Tu verras, un jour on rentrera chez soi et l’on choisira la version que l’on veut de la Flute enchantée de Mozart interprétée par Karajan ou un autre et l’on pourra écouter cette œuvre sans disque, sans chaîne, parce que la musique sortira des murs’. En fin de compte, on se rapproche tout à fait de ça.»
Les visions de l’artiste
«Les artistes ont plus de temps que les autres, ainsi, ils sont plus observateurs et sont visionnaires parce qu’ils voient l’avenir se dessiner. De grandes entreprises, lorsqu’elles doivent négocier d’importants virages pour leur évolution, invitent les artistes à venir leur parler du futur qu’ils entrevoient, de ce qui serait désirable pour l’homme dans le futur. Je fais partie de ces laboratoires d’idées organisés par d’importantes sociétés.»
L’art dans la ville
«Avec ‘In my kitchen a museum’ vous avez reconstruit l’art dans votre cuisine. L’art vous manquait ? Pourtant, en France, en dehors de l’architecture, l’art est peu présent dans la rue.» «Je me souviens être allé à Rome et l’on m’avait indiqué un Caravage dans une église. Je rentre dans celle-ci, la visite et ressors dépité parce que je ne l’ai pas vu. Je redemande et l’on me dit qu’il est juste à l’entrée. En fin de compte le tableau était à l’entrée de l’église, pas spécialement protégé : il n’était pas à l’abri d’un plexiglass. Je me souviens même qu’il fallait mettre une pièce pour éclairer et donc découvrir le tableau. Un jour, à Naples, je rentre dans une banque et au 1er étage de celle-ci était exposé un Caravage. Oui, l’art est plus exposé en Italie qu’en France.»
Petites merveilles du quotidien
«Avec ce travail homochrome, que j’avais déjà en tête il y a 12 ans, je voulais désacraliser l’art. J’ai d’ailleurs écrit à ce propos, dans une nouvelle intitulée ‘Tout est beau’ chez Hachette littératures. Je crois que lorsqu’on est dans la nécessité de créer et que l’on dispose de peu de choses, même un grain de riz suffit à faire de l’art. Tout est dans le regard de l’artiste. Je crois que In my kitchen a museum invite à porter un autre regard sur le quotidien. Qui n’a pas été interpellé par l’eau rubis de la betterave que l’on passe sous l’eau ou le vert émeraude de l’eau de cuisson des asperges ? Ou la goutte de lait qui tombe dans l’eau créant un nuage ? On a tellement enregistré ces images qu’elles sont devenues invisibles. Si l’on conserve, en soi, cette part d’émerveillement et de surprise sur les choses du quotidien, l’on vit une autre vie. J’aime que chaque instant soi unique.»
Un artiste complet
«Photographe, plasticien, illustrateur, écrivain, vous êtes un artiste complet ?» «Un artiste fait du tricot : une maille à l’envers, une maille à l’endroit. J’ai fait de la peinture qui m’a amené à la sculpture et celle-ci à la photographie et celle-là encore à écrire et puis, un jour, des livres pour enfants à la naissance de mon fils, en 1998. Il avait 3 ans et je le prenais sur les genoux pour voir s’il reconnaissait dans les nuages des formes que j’avais prises en photo et légèrement modifiées par des ombres portées. Ce livre ‘La tête dans les nuages’ fut mon 1er bestseller.»
Les livres
«Dans le recueil de nouvelles ‘Tout est beau’, il est question de 26 artistes avec leurs œuvres, leur famille, leur galerie. Les sculptures que j’évoque étaient impossibles à réaliser, soit physiquement soit financièrement et comme je ne pouvais pas les mettre au jour, je les écrivais. L’écriture est aussi un medium pour raconter parfois, même, une sculpture. Je me rappelle un artiste qui écrivait sur les murs : ‘ici, il y avait telle ou telle chose et qui racontait l’histoire des objets qu’il décrivait. Le matériel était conté par l’immatériel…»
Collection Yvon Lambert
«J’ai été découvert par la Collection Lambert sur Instagram à propos de la sortie de mon livre In my kitchen a museum. Suite à la sortie du livre je devais animer ‘Still fripon’ (Ndlr : toujours fripon). Je voulais inviter les enfants à s’amuser à partir d’une œuvre d’un artiste qu’ils aiment, ou, au contraire, de travailler à partir d’un objet du quotidien pour en faire une petite œuvre d’art. A l’issue de cet atelier je devais mener une conférence sur l’art contemporain et répondre aux questions des familles…»
L’art contemporain
«L’art contemporain me tient très à cœur car je l’ai découvert très jeune. Aujourd’hui, tout le monde en a peur parce que tout s’est affolé. Sur les murs de l’école des Beaux-arts est inscrit : ‘On dit que les gens ne s’intéressent pas à l’art contemporain, mais l’art contemporain s’intéresse-t-il aux gens ?’ L’art contemporain est devenu très hermétique pour beaucoup de gens. Si vous n’avez pas le mode d’emploi, vous êtes en droit de vous demander si l’artiste se fout de votre gueule ou pas. C’est normal car c’est très déroutant. L’histoire de l’art c’est comme un escalier, si vous enlevez une marche ça ne fonctionne pas. Chaque étape de l’art est vitale pour l’histoire de l’art. Mais si vous n’avez pas la culture de l’histoire de l’art vous pouvez rester en dehors.»
Révolutionnaire urinoir
«Un exemple ? L’urinoir de Marcel Duchamp conçu comme une œuvre d’art en 1917 et appelé ‘La fontaine’ de Richard Mutt ! C’était comme une bombe dans un musée pour faire tout péter, comme un anarchiste ! Nous sortions de la 1re guerre mondiale et étions empêtrés dans des conventions, des codes très anciens … L’Académie de l’époque était l’Académie royale de peinture et de sculpture. On se remémore Ingres qui se voit refuser un tableau parce que sa baigneuse Valpinçon arbore une vertèbre de trop ! Marcel Duchamp, lui, se sert du règlement intérieur de l’exposition de la Société des artistes indépendants de New York qui dit que toute œuvre envoyée sera exposée. Il envoie son œuvre à un autre nom ‘Richard Mutt’ et le jury dit ‘Non, on ne peut pas accepter cela’ Il dit ‘Pourquoi ? Si l’artiste nous l’a envoyé c’est qu’il considère que c’est une œuvre d’art, il faut l’exposer.»
La révolution
«Le jury refuse et il donne son congé à ce jury. Sans le savoir il a inventé le concept que tout objet du quotidien peut devenir art si on le met dans une certaine condition et qu’on le regarde d’une certaine façon. Il a également inventé la 1re sculpture sans socle, l’œuvre posée à même le sol. Ça a été une onde révolutionnaire. Il est le père de l’art contemporain. Il a créé l’idée conceptuelle : développer une idée pour expliquer telle ou telle œuvre. Il a donné le droit aux artistes d’être intelligents, alors qu’auparavant ils n’étaient que sensibles.»
Appréhender l’art post contemporain
«Ce qui me fait mal au cœur ? Voir les gens passer à côté d’une œuvre parce qu’on leur a pas donné les codes. Depuis le XIXe siècle l’art contemporain est aussi un outil financier. Celui qui l’a bien compris ? Jeff Koons, qui, s’il n’est pas du tout dénué de talent, venait du ‘stock market’, la Bourse. Ainsi, il sait comment fonctionne un marché : Créer un produit qu’il assume bien vendre. Et bien vendre est un art. Mais un art partagé par beaucoup trop d’artistes qui font trop de ‘sous Jeff Koons’ et n’ont pas le même talent, c’est un peu le résultat de la mondialisation car l’art est toujours le reflet de l’époque qu’il traverse.»
Jeff Koons
«Ce qu’a compris Jeff Koons ? C’est que le monde est empli de cultures différentes et que la mondialisation allait se faire. Or, aujourd’hui, la culture s’est mondialisée, ainsi, globalement, un chinois, un brésilien, un français partagent la même. L’art post-contemporain est, désormais, devenu essentiellement figuratif pour être compris par tout le monde, quelle que soit son origine. Ainsi, un très riche brésilien, indien, américain et français, s’ils voient le homard suspendu de Jeff Koons vous diront tous la même chose : un homard suspendu rose fushia. Ce ne sera pas comme un Mark Rothko où chacun interprète différemment ses œuvres. Là, on vous imposera des crocodiles ou des gorilles de couleurs différentes. Ce petit appauvrissement dit peut-être : ‘On n’a plus le temps de prendre du temps’… L’abstraction demande le temps de s’arrêter pour comprendre, examiner ce que l’on ressent.»
Paf, la Covid-19 !
«Et dans ce monde d’agitation, justement, la Covid-19 met un coup d’arrêt. Ce que ça veut dire ? Même s’il y a eu et s’il y aura des conséquences dramatiques que l’on finira par surmonter, il y a eu et il y a un temps de conscience. On peut travailler de chez soi sans que cela change grand-chose à la vie de l’entreprise. On a compris que l’on pouvait être respectueux de certaines distances ; mettre en place une solidarité commune puisque jeunes, vieux, riches, pauvres, nous tous sommes confrontés à la même maladie, à la mort. La pandémie peut avoir réuni les gens.»
La part de l’ombre ?
«Voir le beau dans le laid ou se raccrocher à trouver des merveilles dans le quotidien fait écho à des heures sombres ? » « Oui et non. Dans la 1re partie de ma vie, pour faire plaisir à mes parents, après une maîtrise d’économie, j’ai ouvert une agence immobilière en Seine et Marne spécialisée dans la vente de locaux commerciaux. J’ai bien gagné ma vie tout en étant très triste. Je remplissais des cases de tout ce qu’il faut avoir, socialement, pour être heureux ; une décapotable, un appartement avec terrasse à Neuilly-sur-Seine, mais j’étais un célibataire sans aucune vie. J’étais tellement mal que j’ai fait un travail analytique pendant des années pour, enfin, m’autoriser à faire ce que j’aimais. J’ai commencé à faire ce travail d’artiste à 35 ans, en autodidacte. Maintenant, à bientôt 69 ans, je suis fier. Même si en une trentaine d’années je n’ai gagné en un an que ce que je gagnais en un mois. Je me sens quatre fois plus riche qu’avant et, surtout, à ma place partout. C’est un peu le thème du livre qui sort à la fin de ce mois d’avril qui s’intitule ‘Qui s’attache aux tâches ?’ Ce qu’il dit, en substance ? ‘On ne peut pas trouver le bonheur si on n’a pas trouvé sa place.’»
Ouvrages
Marc Solal a écrit : ‘Qui s’attache aux tâches ?’ texte de Marc Solal et illustrations de Mathieu Sauvat chez Motus en 2021 ; ‘In my kitchen a museum’ en 2020 ; ‘Petites faims’ chez Hachette Littératures en 2009 ; ‘Tout est beau’ chez Hachette Littératures en 2008 ; ‘L’enfant de la neige’ de François David et Marc Solal chez Motus en 2008 ; ‘Le petit roi’ aux éditions Motus en 2007 ; ‘Ma bien-aimée’ de François David et Marc Solal chez Motus en 2006 ; ‘Jamais’ aux éditions Motus en 2005 ; ‘Doubles vies’ au Point du jour en 2004 ; ‘Ami où es-tu ?’ chez Motus en 2 000. ‘La tête dans les nuages’ de François David et Marc Solal chez Motus en 1999.