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L’effraction dans le réel de ‘Lieux communs’ de Baptiste Amann

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Commençons par un lieu commun  

En toute simplicité, pour ne pas dire banalité, la dernière création de Baptiste Amann : Lieux communs est d’une terrible limpidité et efficacité, bref, on l’aime ! Découvert lors Des Territoires en 2021, Baptiste Amann n’a pas son pareil pour nous raconter à sa manière une histoire chorale autour de faits divers fictifs, mais néanmoins crédibles. Ici point de jugements ou de points de vue, juste trouver les bons filtres et la mise en scène pour travailler sa propre incertitude et trouver comment faire monde commun. 

Continuons avec Lieux communs

Le spectacle s’articule autour de quatre situations qui gravitent autour d’un fait divers fictif : la mort en 2007 par défenestration de Martine Dussolier, fille d’une personnalité d’extrême droite. Ces quatre situations vont évoluer dans quatre lieux différents, mais néanmoins toujours visibles sur le plateau par un jeu de superposition, étagement, transparence ou opacité. La mise en scène et en espace de Florent Jacob participe pleinement à la continuité narrative tel un long plan séquence alors que les propos des huit interprètes sont ancrés dans des situations immédiatement identifiables : coulisses du théâtre avant représentation, salle d’un commissariat, loge d’une chaîne de télévision ou atelier d’un peintre. 

Rencontre avec Baptiste Amann au lendemain de la représentation

Travailler la friction entre réel et fiction

« Je connais certains comédiens depuis plus de 20 ans. J’aime travailler avec eux la friction entre réel et fiction. Par exemple, quand j’ai construit le personnage d’Indra, réalisatrice corse par son père et gitane par sa mère, je cherchais qu’est-ce qui pouvait la relier à son père. Je voulais qu’elle soit d’une base ouvrière et je cherchais quelle activité industrielle existait en Corse. La comédienne elle-même corse m’a fait découvrir l’histoire de cette mine d’amiante en Haute-Corse, ‘l’enfer blanc de Canari’. Pour la scène de l’interrogatoire musclé dans le commissariat, chaque acteur a avancé ses pions par rapport à ce qu’il connaît de cette situation. Pour le conservateur du Musée Soulages à Rodez, il ne s’agissait pas pour moi de stigmatiser le personnage, mais d’être dans une fiction caricaturale choisie, dans le registre de théâtralité du bouffon. Avec les acteurs, je m’autorise sur les limites que chacun et chacune peut mettre de soi et comment moi, je peux distiller ça dans l’écriture. J’ai besoin que la fiction soit inscrite dans le réel. »

Chaque personnage est construit

Mon temps d’écriture est énorme. Je fais une sorte de biographie de chaque personnage. Chacun a un passé, présent et futur. Ensuite mon propos n’est pas de raconter l’argument de l’un ou de l’autre, mais de raconter ce qui se manifeste — lors d’une dispute par exemple — comment parfois, on est pris dans des situations qui nous coincent dans des stéréotypes. En cherchant à échapper à la caricature, on l’augmente dans les yeux de l’autre, d’où la situation d’incommunicabilité. 

Mettre de la fraîcheur dans la pensée, avoir une forme de sincérité qui avance avec pudeur, avec humour

Ma recherche de complexité dans les pièces que j’écris est nourrie par le fait d’avoir connu, navigué dans plusieurs mondes et milieux. Je peux être ainsi en empathie avec des catégories de gens que j’ai eu la chance de rencontrer. J’ai moins de jugement moral, car quelquefois, on décrypte des choses à travers un filtre qui n’est pas forcément le bon.

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