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La belle injonction de Clara Hédoin «Que ma joie demeure»… après l’avoir trouvée à Barbentane

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Après la série des «Trois mousquetaires» jouée dans toute la France, Clara Hédoin propose «Que ma joie demeure» de Jean Giono hors les murs, à Barbentane avec sa nouvelle structure «Manger le soleil» sur une adaptation de Romain de Becdelièvre.

Le In, In situ,  In visu
5h du matin. Rendez-vous parking de l’île Piot à Avignon pour le départ en bus vers Barbentane. Dernière cigarette pour certains car ensuite il sera interdit de fumer sur tout le site déjà sinistré par les incendies de l’année dernière. Le spectacle commence dès maintenant. Pendant le trajet, ce n’est pas la radio du matin que nous entendons mais des témoignages sonores de paysans, éleveurs sur les difficiles conditions de l’agriculture aujourd’hui. Comment lutter contre la sécheresse, faire du maraîchage sans eau ? Faut-il changer de culture, pas seulement de variétés ? Enfin je crois ! Car certains spectateurs sont très bavards dès le matin ! à se raconter leurs prochaines vacances. Ils n’ont pas compris que le voyage commence dès maintenant dans cette aube naissante et déjà chaude.

Un spectacle à la logistique impressionnante
Disons le d’emblée pour convaincre les réticents. Tout est très bien organisé. A l’arrivée sur le site, du café chaud, de l’eau et des toilettes sont à notre disposition. La jauge est seulement de 130 personnes. Oui nous ressemblons peut-être à un troupeau de moutons mais à un troupeau à la Giono ! Libre et joyeux…..A défaut de berger, c’est la metteuse en scène Clara Hédoin qui nous donnera le signal sonore des différents départs et les pompiers et brumisateurs ambulants nous accompagneront pendant tout le trajet. On nous distribue le plan de la randonnée qui sera d’environ 5 kms entrecoupée de 10 pauses correspondant aux 10 tableaux tirés du livre de Giono. On nous confie un trépied pour les pauses spectacles -qui dureront entre 15 et 30 minutes chacun – les dernières recommandations et c’est parti pour 6 heures de spectacle grandeur nature. 

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Scène d’exposition
Chez Giono, nous sommes sur le plateau Grémone, dans les années 30, dans les Alpes de Hautes-Provence où vivent une vingtaine d’habitants répartis sur 6 fermes isolées. Ils ne forment pas une communauté. Tout est triste, tout est noir. Un mal étrange s’est emparé des habitants, «une lèpre» appelée tristesse. Ici nous assistons à la «scène d’exposition» où nous découvrons les mêmes personnages. Ils seront 6 sur ce plateau naturel : 2 acteurs pour Jourdan et Bobby et les 4 autres qui joueront tous les autres rôles. Pas de micro, décor naturel, vêtement ou accessoires rudimentaires. A l’aube naissante, c’est  merveilleux d’entendre des voix qui se rapprochent, d’écouter le silence juste interrompu par le chant du coq et le clocher de Barbentane qui sonne 6h30. L’odeur du thym est entêtante. La joie est déjà là car elle est authentique. Oublié le réveil matinal et les contrariétés du matin, nous allons vivre une belle épopée humaine qui n’a pas de prix.

Se laisser faire par la joie
Les tableaux alternent les gros plans et plans rapprochés avec des plans d’ensemble magnifiques au milieu de friches, de forêts et prairies. Les voix sont lointaines ou au contraire parmi nous pour les séquences de repas, de fêtes ou de prises de décisions collectives. Nous n’assistons pas à une représentation. Nous sommes invités à la grande fête de la nature, au cœur des bouleversements : on accepte l’Etranger, on adhère aux infimes changements, on s’émeut des retrouvailles avec les oiseaux et les cerfs. On entend les moutons, on a chaud mais on est heureux. Bref ! On lâche prise nous aussi.

Point de leçon mais une expérience sensible
C’est ce qui est magnifique dans ce projet : La poésie de Giono est intacte et parfaitement restituée et dans les mots et dans les situations. Les ajouts de quelques témoignages sonores d’agriculteurs venus de toute la France révèlent juste qu’une prise de  conscience est en marche. A nous de faire le reste : décider de nos vies sans attendre le sauveur, retrouver nos relations avec le vivant et surtout réussir à garder cette relation, dans la joie, celle que nous aurons nous-mêmes crée.

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Entretien avec Clara Hédoin

Du collectif, hors les murs, avec un grand texte d’auteur
«Dans ma démarche artistique je privilégie le collectif, hors les murs et les grands textes d’auteurs. J’ai le désir d’investir des espaces autres que les théâtres. Mon  travail c’est de dialoguer avec le lieu, de s’y confronter pour finalement s’y conforter, y créer une relation. Cette relation s’enrichit du lieu qui change selon les endroits où sont joués les spectacles. Le projet est recréé in situ : la mise en scène, les places de chacun… Pour «Que ma joie demeure» par exemple nous avons changé de lieu, Barbentane plutôt que Pujaut initialement prévu et nous avons tout repensé. Le maire de Barbentane avait le désir de faire renaître quelque chose sur sa commune après les incendies de 2022. Je peux participer très modestement à cette renaissance en venant travailler sur ce lieu de sinistre. Quand le roman commence : tout est noir, en terrain déprimé. La dépression est le point de départ.»

Une démarche de création
«Avec Romain de Becdelièvre nous sommes partis en «road trip» dans les Alpes de Haute-Provence  pour découvrir et s’imprégner des paysages de Giono. Comprendre qui sont les habitants de ce territoire, qui travaillent la terre et comment. On a rencontré des paysans, éleveurs etc… qui nous ont parlé, on a recueilli leurs témoignages qui nous ont enrichis et dont on s’est servi dans le spectacle. Nous avons ensuite séquencé le roman en 10 tableaux qui correspondent à 10 stations d’une marche. La marche permet de créer un voyage intérieur. Il y a en effet beaucoup de description chez Giono, des événements infimes, des bouleversements des vies des personnages assez durs à théâtraliser. La marche – qui peut être  vouée aux rêveries, à la méditation – permet que la traversée de l’ histoire s’approfondisse en chacun de nous. Que l’on sorte du décor»

Retrouver la joie….et savoir la garder
«Ce qui m’a sauté à la figure quand j’ai relu il y a 3 ans ce livre de Giono, c’est l’actualité, les questions qui le traversent : notre relation au vivant, comment les relations se sont appauvries, atrophiées et comment il est possible de les enrichir pour retrouver une forme de vitalité et donc de joie. J’ai contourné l’idée du sauveur étranger, Bobi, qui peut être très agaçante dans le livre de Giono  avec sa dimension jésuitique et prophétique,  j’en ai fait un personnage féminin, modeste et maladroit » Dans ce projet j’ai déplacé tous les curseurs : le lieu, l’heure, la nature et même les personnages. J’ai l’espoir modeste d’un bouleversement intérieur chez le spectateur»

Que ma joie demeure. Jusqu’au 24 juillet. Relâche le 20 et 21. Départ 5h. 04 90 14 14. Cloître Saint-Louis. 20 rue du Portail Boquier. Avignon. festival-avignon.com

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