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Julien Gélas, directeur du Théâtre du Chêne noir à Avignon : « Le théâtre populaire est là pour parler à tous les publics, ce qui n’empêche pas l’exigence »

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Entretien avec Julien Gélas, directeur du Théâtre du Chêne noir à Avignon.

Théâtre du Chêne noir

«Cela fait plus de deux ans et demi que je co-dirige le Théâtre du Chêne noir et maintenant je suis aux manettes.   Evidemment, Gérard (Gélas) reste un artiste et est très présent dans la programmation, dans la création, dans l’écriture. Moi ? J’ai la charge de continuer cette belle histoire et de diffuser le plus d’œuvres possibles.»

Mon empreinte ?

«Mon empreinte ? Je vais surtout essayer d’apporter ce que je suis, c’est-à-dire, la vision d’un jeune-homme de mon époque –j’ai 30 ans- insuffler de la jeunesse, même si Gérard a toujours eu cet esprit de tisser des passerelles entre les différents domaines de l’art. Cela me comble puisque je suis musicien, auteur et metteur en scène. C’est en moi et c’est aussi au cœur du Chêne noir qui a été une troupe de musiciens et d’acteurs pendant plus de 20 ans, ainsi j’en perpétue l’esprit.»

La création en résidence

«Après, j’ai mes goûts. C’est presque indescriptible… Les textes contemporains prendront une place importante avec des artistes invités en création, en résidence au Chêne noir et qui seront produits, en cela c’est une première. Nous accueillons 4 spectacles en résidence ; Stéphane Caso pour ‘To be or not to be Avignon’ ; ‘Racin.e(s)’ sur justement Jean Racine, une création de jeunes créateurs issus du Conservatoire d’Avignon, la compagnie A Divinis qui travaille avec Olivier Py. ‘Les chaises’ de Ionesco avec Renaud Gillier, la compagnie Les passeurs qui sera une production Chêne noir prévue pour 2021 et ‘Maivieschool’ une école de hip hop qui va, avec les jeunes des quartiers, proposer des concours de hip hop en fin d’année et qui sera également en résidence de création ici. L’idée ? Créer des passerelles entre l’intra et l’extramuros.»

La nouveauté ?

«On accueille et on produit beaucoup de nouveaux spectacles. Notre volonté est d’accompagner de nouveaux créateurs, des talents en devenir et, en même temps, de présenter des artistes et des œuvres confirmés en théâtre, musique et conférences qui sont les trois axes du Chêne noir. Ce qui nous définit ? Le théâtre populaire, Gérard vient de là, Jean Vilar était son maître. Moi, je m’inscris dans cette tradition et je la revendique. C’est un théâtre qui parle à tout le monde mais avec une exigence de qualité de théâtre d’art. Ce qui est important ? C’est aussi programmer des auteurs. Je m’imprègne toujours du texte avant de penser aux acteurs. Il n’y a pas de théâtre sans auteurs ni sans textes. C’est la 1ère étincelle qui donne la magie au reste. Et il n’y a pas de textes sans acteurs. Cette année nous donnerons à voir et entendre des auteurs majeurs comme Jean Racine, Georges Feydeau, Eugène Ionesco… Cela fait partie de ce que je défends.» 

Une nouvelle vague ?

«La clientèle, les abonnés du Chêne noir ont peut-être l’âge de Gérard, avec votre arrivée celle d’une nouvelle vague, complémentaire à la 1ère ? Cela fait partie de mes paris : le renouvellement des publics avec celui qui nous est fidèle depuis plusieurs décennies, qui connaît ce que l’on fait et qui nous est précieux et continuer à aller chercher les scolaires, les jeunes. J’ai d’ailleurs été frappé en Chine par la moyenne d’âge des spectateurs qui est de 35 ans, dans les salles de théâtre. Il ne s’agit pas de faire de jeunisme, en revanche il faut mélanger tous les publics, c’est l’essence même du théâtre populaire : pas de limite d’âge, de classe sociale, toujours ouvrir son esprit…»

Le Horla

«Pour le Horla j’ai extrait l’œuvre de son époque et je suis parti sur la comparaison, le rapport de l’homme à la machine, de l’homme à l’invisible. Le théâtre est le lieu où l’on se pose des questions liées à des problèmes universels et actuels. Chaque époque met au jour de nouvelles problématiques dont les auteurs et les metteurs en scène s’emparent.»

L’œuvre qui m’a le plus marqué ?

«Quelle œuvre m’a le plus marqué ? Un roman d’Honoré de Balzac ‘La recherche de l’absolu’. (Ndlr : La Recherche de l’absolu est un des textes les plus attachants de Balzac. Il traite de la recherche de la perfection, thème que l’on retrouve dans ‘Illusions perdues’ (le papier parfait pour l’imprimerie Séchard) et ‘Le Chef-d’œuvre inconnu’ (une peinture plus forte que la réalité). C’est un roman fantastique, sans doute pas le plus connu. Cette œuvre intervient alors que les religions se meurent en Occident et fait émerger la question de l’absolu dans la science et l’art comme une recherche, même spirituelle. Je considère que l’art est aussi une quête d’absolu. Ce qui m’a bouleversé ? La quête de sens. L’art est une spiritualité, ce n’est pas juste un métier, une technique, une manière de faire carrière.»

Qu’est-ce que m’a appris la vie en Chine ?

«Ce sont les arts martiaux et leur pratique –champion de France de kungfu à 15 ans- lors de mon adolescence qui m’ont porté en Chine. J’ai obtenu un doctorat de chinois, l’ai enseigné durant plusieurs années, aux Langues orientales à Paris. J’ai toujours une passion pour cette culture qui, à beaucoup d’endroits, se conçoit comme aux antipodes de la nôtre et qui, de cette façon, m’a permis de questionner tant à travers la philosophie qu’à travers ma vie, tout un tas de partis pris, de préjugés que j’ai, que l’on a, sur notre propre culture, sur nous-mêmes et sur le monde. Le fait d’aller chercher des systèmes de pensée radicalement opposés aux nôtres nous permet de remettre en question ce que l’on est. C’est un mouvement artistique. L’art c’est explorer la diversité, la multiplicité. C’est la quête des possibles.»

La Chine

«La Chine c’est aussi ça, un endroit où, si l’on y est sensible, l’imaginaire est très fourni, où il se déploie. C’est Paul Claudel, Victor Segalen qui ont écrit des textes magnifiques sur ce pays. Ce sont aussi des philosophies que j’ai creusées, traduisant le Tao Te King de Lao Tseu car il y a beaucoup de sagesse derrière cette culture. En m’en imprégnant, j’y ai trouvé des méthodes, des outils et des techniques que j’utilise pour la mise en scène, pour diriger les acteurs, comme la culture du silence puisque ce sont eux qui ont pensé le ‘silence’ de la façon la plus profonde qui soit, le taoïsme, Confucius s’en faisant écho tout comme la notion de ‘vide’.  En musique c’est tout aussi fondamental et central.»

Comment j’appréhende l’œuvre ?

«J’ai eu cette chance de grandir dans un théâtre et d’y découvrir les œuvres tout d’abord en les regardant sur scène avant de les lire. Ce sont, tout d’abord, des impressions visuelles, sensitives qui m’interpellent et m’amènent à les lire lorsqu’elles m’ont séduit. Parfois je les redécouvre en les lisant. Je n’agis ni de manière calculée ni de manière rationnelle. Une œuvre me parle et me touche, je trouve que sa thématique résonne et me permet de poser des questions contemporaines. C’est là que tout commence. C’est là qu’elle m’intéresse. Je viens d’écrire une pièce historique sur Spinoza, commandée par Bruxelles. J’ai en tête une œuvre de Victor Hugo et voici qu’en la lisant germe un texte sur le président actuel de la République.»

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