22 novembre 2024 | Condition des soies, Le nouveau moulin dont les lettres jaillissent

Ecrit par Mireille Hurlin le 8 juillet 2021

Condition des soies, Le nouveau moulin dont les lettres jaillissent

A Avignon, la salle ronde du théâtre de la Condition des soies plante à elle seule le décor : Nous entrons et nous nous asseyons au creux du Moulin de Fontvieille. Philippe Caubère, pardon, Alphonse Daudet arrive, élégant, en habit, chapeau, veston, gilet, chemise blanche amidonnée, pantalon anthracite rythmé de lignes fines et blanches, sur-chaussures, un lourd registre à la main. Il va donner : ‘Les lettres de mon moulin’ Son regard bleu acier fait le tour des gradins, la salle est comble. Les enfants sont au premier rang, tous les âges ornent les bancs conçus en demi-lune. La voix, tout d’abord basse du comédien, doucement fait sa place, captivant déjà l’auditoire. C’est le spectacle des jours impairs qu’il va donner. Alors c’est ‘L’installation’, l’acte d’achat du moulin de Fontvieille d’Alphonse Daudet. Celui qui, sans doute, inspira l’écrivain à bien des égards, même s’il n’y vécut point.

Évidemment

Évidemment, si les récits d’Alphonse Daudet bercèrent notre enfance, joués et mis en scène par Philippe Caubère, comme lui nous devenons «Eblouis par la force d’évocation, la tragédie, le style, l’univers de ce monde attendrissant et terrible de la Provence, conté dans un mélange de religion et de vie sociale. J’ai voulu raconter les nouvelles que j’aimais le plus. » Nous voici donc projetés du XXIe siècle dans une bulle temporelle du IXXe siècle, plus précisément autour de 1869, date de publication originale des Lettres de mon Moulin.

Les lettres de mon moulin

Le petit monde d’Alphonse Daudet (1840-1897) surgit bien de cette silhouette, de ce regard des postures, de l’échange d’un personnage à un autre, même lorsque celui-ci est une chèvre, un vieil hibou poussiéreux où un végétal. Au fur et à mesure du jeu, Alphonse Daudet s’anime et avec lui, émergent des personnages hauts en couleur, porteurs de thèmes universels : les lapins étonnés de voir la porte du moulin s’ouvrir sous les pas du poète dans ‘L’installation’ ; La surprise du voyageur parisien découvrant la vie des voyageurs provençaux dans ‘La diligence de Beaucaire’ ; le métier de meunier qui disparaît et l’élan solidaire des villageois dans ‘Le secret de maître Cornille’ ; Le goût pour une courte liberté férocement gagnée dans ‘La chèvre de Monsieur Seguin’ ; Le jeune-homme qui se consume d’amour pour une jeune-fille compromise dans ‘l’Arlésienne’ ; La légende de l’homme à la cervelle d’or qui paie de sa vie de s’être trop servi de celui-ci et où Alphonse Daudet précisa : «Malgré ses airs de conte fantastique, cette nouvelle est vraie d’un bout à l’autre. Il est de par le monde de pauvres gens qui sont condamnés à vivre de leur cerveau, et paient en bel or fin, avec leur moelle et leur substance, les moindres choses de leur vie… » ; Le cauchemar du ‘Curé de Cucugnan’ qui rêve que tous ses paroissiens vont en enfer et, enfin, le récit d’une des rencontres amicales qui lièrent, durant plusieurs décennies, Alphonse Daudet au poète Frédéric Mistral.

Philippe Caubère propose Les Lettres de mon Moulin, un spectacle en deux parties lors des jours pairs et impairs,
à la Condition des soies à Avignon
©Michèle Laurent

Du coup, on y revient

Et parce qu’Alphonse Daudet est une friandise à laquelle on revient, on fonce pour une deuxième soirée des jours pairs, toujours à la Condition des soies, pour se laisser emporter par le talent de Philippe Caubère et aussi pour la jubilatoire ‘Mule du Pape’ où le comédien se surpasse à vivre une vengeance de 7 ans ; où il nous étreints le cœur en nous rapportant l’effondrement d’une femme regardant le bonheur s’enfuir par sa fenêtre avec ‘Les deux auberges’ ; on se régale ‘Des trois messes basses’ hilarantes de mimiques, de bruitages et de personnages ; On finit sous les bancs lorsque ‘l’élixir du père Gaucher’ nous emporte vers d’ivres paradis puis on redescend tranquillement lorsque ‘Nostalgie des casernes’ nous cueille indécis de savoir si ce que l’on vit est meilleur que ce que l’on a vécu’.

Impressions

Il y a trois types de personnes pour venir saluer Philippe Caubère. Les inconditionnels qui connaissent tout de sa carrière et le vénèrent ; ceux qui viennent voir la bête de scène, celui qui lâchera quelques vacheries au détour d’une réplique bien sentie et, enfin, ceux qui auront été attirés par le thème de la pièce. Clairement ? Les trois en auront pour leur grade et leur argent. Car tous les travers, gentillesses et monstruosités qu’Alphonse Daudet décrit sont bien notre miroir. N’empêche, quelle performance d’acteur ! Imaginez-vous la longueur des textes ? La précision des mots qu’il se flagelle à dire dans le bons sens sous peine de se reprendre immédiate, se conspuant lui-même ? Le corps et l’esprit qui s’emmêlent pour tout dire, tout faire, rendre intelligible, mimer, ouvrir à un imaginaire encore plus grand… Et dans les coulisses, le labeur, l’opiniâtreté. Savez-vous qu’il interroge sa répétitrice à peine une fois par soirée ? Celle-là-même lui répondant vertement comme on replace un enfant… Un spectateur me fait savoir que s’en devient même un jeu ! Pour finir ? Notre plaisir est immense de cette salle comble qui l’applaudit longuement. Alors il sourit, s’évente de ses mains pour ramener plus près de lui les applaudissements ; Il fait même signe de se piquer au creux du bras de notre enthousiasme à saluer l’homme et ses performances. L’enfant terrible du Théâtre du Soleil, s’étant fait un nom et une carrière après Ariane Mnouchkine rayonne de son propre feu depuis bien longtemps déjà ce qui fait d’Avignon un rendez-vous incontournable pour lui comme pour nous.

Les infos pratiques

Les lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, interprétées et mises en scène par Philippe Caubère. Théâtre de la Condition des soies. Salle Molière. 19h15. Durée 1h35. Jusqu’au 25 juillet. Un spectacle donné en deux parties pour deux soirées donnant à voir, lors des jours pairs 6, 8, 10, 13, 15, 17, 20, 22, 24 juillet : Installation, La diligence de Beaucaire, Le secret de Maître Cornille, La chèvre de Monsieur Seguin, L’Arlésienne, La légende de l’homme à la cervelle d’or, Le curé de Cucugnan, Le poète Mistral. Et les jours impairs : 7, 9, 11, 14, 16, 18, 21, 23, 25 juillet. Relâches les 12 et 19 juillet. La mule du Pape, Les deux auberges, Les trois messes basses, L’élixir du révérend père Gaucher, Nostalgie de casernes. A partir de 8 ans. 22€. 13, rue de la Croix à Avignon. 04 90 22 48 43. Réservation ici.

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