À l’occasion du festival cinématographique Les Rencontres du Sud, la ville d’Avignon s’est transformée en carrefour du cinéma et capitale du 7ᵉ art du lundi 18 au samedi 23 mars. Réservé aux professionnels, cet événement s’est ouvert ensuite aux étudiants s’orientant vers les métiers du cinéma, puis partiellement au public, notamment avec le ciné pitchoun pour les enfants.
Jusqu’au bout du monde
Viggo Mortensen, artiste à la renommée internationale avec des rôles marquants, était de passage à Avignon à l’occasion des Rencontres du Sud pour présenter et faire la promotion de son film Jusqu’au bout du monde, un western qui sort dans les salles le 1ᵉʳ mai 2024. Acteur à la filmographie impressionnante, réalisateur, scénariste, producteur, musicien, photographe, peintre et poète, l’américano-danois de 65 ans né à New York s’est notamment révélé au monde entier dans le rôle de d’Aragom dans Le Seigneur des Anneaux, la trilogie de Peter Jackson.
C’est la première fois qu’il venait à Avignon, mais était déjà allé à Lourmarin dans le Vaucluse sur les pas d’Albert Camus. L’homme aux multiples récompenses a été nominé plusieurs fois aux Oscars en tant qu’acteur. Dans ce long métrage de 2h09 qu’il a écrit et dont il a créé la musique, il est à la fois réalisateur et acteur principal aux côtés de Vicky Krieps dans le rôle de Vivienne Le Coudy. Son premier film derrière la caméra Falling l’a encouragé à renouveler l’expérience.
À la question de savoir si le personnage de Holger Olsen qu’il incarne est à son image, il sourit. « Je ne sais pas. Je mets mon corps, ma voix, mes sentiments, mais l’idée au départ ce n’était pas de jouer le rôle. Je voulais vraiment avoir Vicky Krieps, et avec elle un autre acteur. Cela a traîné cinq mois, mais ce dernier a décidé de faire autre chose. J’en ai contacté deux autres, mais impossible, ils n’étaient pas disponibles ou il fallait que j’attende. J’ai décidé de jouer le rôle moi-même. Avec un personnage plus vieux que celui que j’avais écrit, ce qui nous a amenés à changer certaines choses. Vicky est formidable dans ce rôle de femme forte au centre de l’histoire. Son jeu est toujours vrai, communique même dans le silence. Elle a une chose qu’on ne peut pas expliquer. Je n’aurais pas imaginé une autre actrice. »
S’il se lance dans un western, c’est qu’il a toujours aimé les westerns classiques même s’il avoue que certains ne sont pas toujours en lien avec l’époque. « Pour moi, c’est important de s’approcher de la réalité historique aussi bien avec les vêtements, les objets, la manière d’être, le vocabulaire, les paysages. J’ai grandi avec les chevaux, c’est un avantage. C’est étrange quand on voit qu’un acteur ne monte pas bien. Mais voir comment un acteur s’approche du cheval, c’est plus important que le galop. La façon d’être avec le cheval est primordiale. Il faut que cela soit simple, naturel, efficace. »
Là, l’action se passe aux États-Unis entre les années 1861 et 1865. Le tournage s’est effectué au Mexique et au Canada. Dans son film, le réalisateur fractionne et explore le temps, utilise des flashbacks comme c’est fréquent dans la littérature.
« Quand j’ai commencé à écrire, la première image qui m’est venue, c’est une petite fille qui jouait et qui rêvait dans une forêt d’érables. Et je me suis demandé ce que cet enfant allait devenir. C’est inspiré par ce que je sais de l’enfance de ma mère et les paysages où elle a grandi. J’ai pensé que cela pourrait être intéressant d’essayer de commencer avec les faits avant de montrer les causes. On débute avec Vivienne adulte à la fin de sa vie et ensuite, on montre comment elle est arrivée là », analyse l’artiste qui a dédié le film à sa mère.
Ce qui intéresse Viggo Mortensen dans la réalisation, c’est un travail collectif pour faire du cinéma. Les bons films sont toujours le résultat d’un travail d’équipe. Pour lui, c’est important de rester ouvert aux idées, aux suggestions des équipes techniques, des comédiens. C’est, dit-il, ce qu’il a appris des bons réalisateurs.
Dans son film, il met en lumière une femme indépendante, libre, courageuse dans une époque et dans un endroit où la frontière était ouverte physiquement et dans une société hors la loi avec des hommes qui dominent les autres. Cette femme va rencontrer un homme de la même trempe, progressiste et ouvert. « Chacun va apprendre de l’autre et ce qui est important savoir pardonner.
Les êtres humains sont capables de faire beaucoup de mal. Il faut éduquer chaque génération et c’est ce que ce père va faire avec ce petit garçon. On vit dans l’espoir », conclut l’humaniste et citoyen du monde qui parle français. Un western aux sensations fortes et un drame romantique.
Frères
Lundi 18 mars, le réalisateur Olivier Casas a présenté en avant-première Frères, film avec Mathieu Kassovitz et Yvan Attal qui sortira dans les salles le 24 avril 2024. Il était accompagné de Michel de Robert qui a vécu cette histoire qu’il a très longtemps tenue secrète sans même la révéler à ses proches.
Le film raconte l’histoire vraie de deux frères de 5 ans et 7 ans. Abandonnés par leur mère en 1948, ils se sont réfugiés dans la forêt où ils ont vécu seuls pendant sept années. Une aventure qui les unira pour toujours dans un lien indéfectible. Des décennies plus tard, alors que chacun a fait sa vie, les deux frères quittent tout pour se rejoindre dans une forêt au fin fond du Canada…
« J’ai été frappé par ce lien, cet amour infini entre deux frères. Personne ne les cherchait. Leur survie n’a tenu que par cette symbiose. Malgré tout, dans cette forêt, ils ont vécu un certain niveau de bonheur », explique le réalisateur Olivier Casas.
« Olivier me l’a extirpé de ma mémoire, bout par bout. À l’époque, il y avait des enfants dans les rues à Paris et dans les campagnes qui allaient de village en village, et personne ne leur demandait rien. Nous mangions ce que nous trouvions dans la nature ou ce qui nous chapardions. Ce n’est pas la faim qui a été le plus dur, même si plus tard des carences ont été constatées dues à la malnutrition. La plus grosse difficulté, c’était le froid et la pluie. Je me suis complètement revu dans ce film », conclut Michel de Robert.
Pendant ce temps-là sur terre
Pendant ce temps-là sur terre, film de Jérémy Clapin, genre drame, fantastique. Sortie le 3 juillet 2024.
Elsa, 23 ans, a toujours été très proche de son frère aîné Franck, spationaute disparu mystérieusement trois ans plus tôt au cours d’une mission spatiale. Un jour, elle est contactée depuis l’espace par une forme de vie inconnue qui prétend pouvoir ramener son frère sur terre…
« Tout est parti de ma fascination pour l’espace, pour ce territoire que la plupart d’entre nous ne visiterons jamais. Ce territoire infini que nous observons depuis la Terre autant qu’il nous observe. Je mets des choses personnelles dans mes films. L’imaginaire est influencé par la réalité. Je n’ai pas représenté les extra-terrestres, on ne les voit pas. Là, on va à l’intérieur du personnage principal, Elsa, et à travers elle le spectateur suit un dialogue entre deux univers différents. C’est un film de prise d’otage. Elsa est une femme coincée entre deux mondes, entre espoir et résignation, entre Terre et espace », explique le réalisateur. La fin est coincée entre deux réalités, mais reste ouverte.
Le film a principalement été tourné dans le Puy-de-Dôme.
Les trois fantastiques
Les trois fantastiques de Michaël Dichter avec Raphaël Quenard, Emmanuelle Bercot, Diégo Murgia. Sortie le 15 mai 2024
Max, Vivian et Tom ont 13 ans et sont inséparables depuis toujours. Ce début d’été est plein de bouleversements : la dernière usine de leur petite ville des Ardennes va fermer, Vivian va déménager, et Seb, le grand frère de Max, sort de prison. Il va entraîner peu à peu Max dans ses combines, et toutes ces épreuves vont mettre à mal le lien qui les unit.
Michaël Dichter est un jeune réalisateur qui a réalisé trois courts-métrages et joué dans deux longs-métrages. Il s’inspire dans les trois fantastiques de son propre vécu. « À l’époque, nous étions les cinq copains de 13-14 ans, inséparables et il nous est arrivé une histoire où on retrouve la famille, l’amitié, la loyauté, la trahison. Là, je me sens un peu des trois mais pas un en particulier. Tom est un enfant. Vivian qui a parfois le rôle d’ange-gardien envers ses amis se prend pour un adulte. Max est comme un adulte qui se prend pour un enfant. Il cherche l’amour de sa mère et de son frère. C’est le personnage qui vit le plus de conflits. Mais parfois, on arrive de façon mauvaise à faire le bien… », analyse le réalisateur d’une œuvre avec de la tension dramaturgique et du suspense, qui sort le lendemain de l’ouverture du Festival de Cannes.
Une affaire de principe
Une affaire de principe est une adaptation cinématographique du livre paru en 2015 Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe, écrit par José Bové avec Gilles Luneau. Ce film de 1h30 dont la sortie est prévue le 1er mai 2024 est un thriller dramatique dont l’action se déroule à Bruxelles en 2012.
L’histoire débute avec le limogeage soudain du commissaire à la santé, un événement qui suscite des questions. Le député européen José Bové accompagné de ses assistants parlementaires, se lance alors dans une enquête pour élucider cette affaire.
Antoine Raimbault le réalisateur était présent à Avignon avec son assistant réalisateur et José Bové pour faire la promotion du film qui explore les dynamiques du pouvoir et les influences cachées de certains lobbies comme celui du tabac.
« Le Parlement européen a laissé rentrer le cinéma dans l’institution. Ils se sont laissés pénétrer par la fiction. Les gens ont une méconnaissance complète de ce qui s’y passe C’est un film qui montre les dysfonctionnements des institutions et le travail des parlementaires. L’incarnation du contre-pouvoir c’est ce qui me plaît dans la figure de Bové », explique le réalisateur.
« Les faits rapportés sont rigoureusement exacts. Le cadre est important et ça renforce la crédibilité. Il y a plein de choses dans lesquelles je me retrouve. Ma rencontre avec Bouli Lanners (l’acteur qui l’incarne) a été sympathique. On s’est bien entendu », renchérit José Bové.
«Comme on le voit dans le film, ma jeune stagiaire veut la justice. Le droit ce n’est pas la justice… Là l’enjeu c’était que le président de la Commission Européenne respecte le droit », conclut le syndicaliste et homme politique qui fume toujours la pipe.
N’avoue jamais
La nouvelle comédie d’Ivan Calbérac avec André Dussollier, Sabine Azéma, Thierry Lhermitte, sort dans les salles de cinéma le 24 avril 2024.
Après 50 ans de mariage, François général à la retraite est encore fou amoureux d’Annie, sa femme. Lorsqu’il découvre qu’elle l’a trompé 40 ans plus tôt, son sang ne fait qu’un tour. Afin de laver son honneur, une seule solution : la quitter et partir manu militari retrouver Boris, l’ancien amant, pour lui casser la figure. Mais à son âge, l’affaire n’est pas si simple…
« Ce fait divers en Italie m’a bien fait rire, et m’a donné l’idée de faire un film léger dans une époque un peu anxiogène où on pourra oublier tous nos problèmes. L’histoire montre qu’à n’importe quel âge on peut être amoureux, blessé, jaloux. Les enfants aussi sont touchés. Cela montre que même vieux on peut évoluer », explique le réalisateur heureux de revenir à Avignon à l’occasion des Rencontres du Sud.
Il se marre : « D’habitude c’est les maris qui trompent leur conjointe. Là c’est les femmes ».
Chaque personnage a un secret. « Il y a des gens qui gardent chez eux des choses qui peuvent être compromettantes. Quand on a aimé, c’est difficile de jeter des lettres d’amour », lâche Yvan Calbérac, qui a écrit le scénario et a réuni des acteurs qui étaient heureux de se retrouver.
Un film ludique, divertissant, et un véritable parcours initiatique.
Le tableau volé
Pascal Bonitzer, 78 ans, critique de cinéma, écrivain, scénariste, réalisateur, était présent aux Rencontres du Sud à Avignon pour présenter son dernier film Le tableau volé. Un long-métrage de 1h31 qui sort le 1er mai 2024, avec pour interprètes Alex Lutz, Léa Drucker, Nora Hamzawi, Alain Chamfort, Louise Chevillotte.
L’histoire d’un chef-d’œuvre d’Egon Schiele disparu depuis 1939, spolié par les nazis, qui réapparaît des décennies plus tard à Mulhouse, découverte chez un jeune ouvrier par un spécialiste d’art moderne d’une grande maison d’art internationale. Une histoire qui va confronter des personnages issus de milieux socialement différents et amener le spectateur dans le monde des commissaires-priseurs et des salles des ventes.
Pascal Bonitzer a cherché à montrer non pas l’univers d’un peintre mais celui de ceux qui en tirent profit, à savoir le monde marchand. « Le monde de l’art est vraiment fascinant, mais pas celui du profit et de l’argent. Mensonge, bluff, trahison, quand il est question de fric tout est possible. Je me suis inspiré d’une histoire vraie de 2006. J’ai rencontré des commissaires-priseurs dont la personne qui a trouvé le tableau. Quand on fait la découverte d’un tel chef d’oeuvre on est un peu Indiana Jones… J’ai imaginé le personnage de la stagiaire qui est une personne de pure fantaisie. C’est une femme qui est un peu dans ce monde des commissaires-priseurs et maîtres du marché de l’art, et en même temps en dehors comme pour donner accès au public à un univers un peu secret. Dans le coup, je mets des fausses pistes », explique le réalisateur.
« Les gens qui croient que leur destin va basculer parce qu’ils touchent beaucoup d’argent, cela risque de se retourner contre eux », conclut-il.
Amal, un esprit libre
Amal, un esprit libre de Jawad Rhalib. Drame, 1h51 avec notamment Lubna Azabal, Fabrizio Rongione, Catherine Salée. Sortie le 17 avril 2024.
L’histoire d’une enseignante enthousiaste d’un lycée de Bruxelles, qui avec son amour du métier et ses méthodes pédagogiques audacieuses, encourage ses élèves à cultiver leur goût de la lecture et la liberté d’expression, même lorsque cela peut s’avérer dangereux. Peu à peu la menace va se préciser…
«Je refuse de n’être qu’un spectateur du monde. Je préfère prendre un part active. Cela fait des années que je fais des films sensibles. J’ai parlé des saisonniers exploités en Espagne, des petits pêcheurs marocains à l’arrêt pendant que les gros chalutiers étrangers équipés de sonars raflaient les poissons, des paysans boliviens victimes des mafias et des politiques. Là je fais un film à l’image de ce que je vois. Les gens qui ont peur subissent la censure des islamistes qui distillent la peur et la haine. Pour moi les écoles doivent rester des sanctuaires. La minorité qui menace, les prêcheurs qui peuvent dire n’importe quoi, ne doivent pas avoir gain de cause. Après les drames survenus, il y a une urgence », explique le réalisateur musulman qui défend l’islam. «Je respecte la foi et la croyance des gens, et je fais partie de ceux qui défendent le vrai islam », conclut Jawad Rhalib.
Un film engagé, courageux qui aborde de façon frontale les difficultés du monde scolaire face à l’extrémisme. Après les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard et la pression des islamistes radicaux sur les établissements scolaires, il résonne fortement. Lubna Azabal y est magistrale.
La cérémonie des Victoires du cinéma
Jeudi 21 mars au cinéma le Vox à Avignon devant une salle remplie de professionnels venus de toute la France, le prix du jury des Montreurs d’images a été décerné au film Un amor d’Isabel Coixet. Le jury des lycéens a récompensé le film Notre Monde de Luàna Bajrami. La cérémonie des Victoires a mis à l’honneur François Thiriot qui a reçu l’hommage de ses pairs.
Dossier élaboré par Jean-Dominique Réga