21 novembre 2024 | Avignon, Quand Alain Bauer, criminologue, fait un tabac au Palais des papes

Ecrit par Mireille Hurlin le 7 février 2024

Avignon, Quand Alain Bauer, criminologue, fait un tabac au Palais des papes

L’Echo du Mardi a assisté à la conférence donnée par Alain Bauer, auteur et conférencier prestigieux de l’Autre festival, le festival du livre sur le thème : ‘Crime et opinion publique, entre information et fascination’. Pour l’occasion la salle Cellier Benoît XII -d’une jauge de 250 places- était emplie. Voici quelques extraits de ce qui s’est dit.

Plus de 250 personnes attendaient pour assister à la conférence d’Alain Bauer, et plutôt dans la bonne humeur Copyright Mireille Hurlin

«Dans l’esprit des communs, nous avons le sentiment qu’il y a de plus en plus de criminalité en France, entamait l’animateur, Michaël Orial, psychanalyste. On ne sait si le monde devient fou, ou si nous sommes, au final, beaucoup plus informés et orientés vers ce type d’information. Vous qui êtes un spécialiste de la sécurité, quelles sont pour vous, les principales évolutions de la criminalité au cours de ces dernières décennies?

« J’ai tout d’abord une pensée particulière pour un de mes papes préférés, le cardinal Jacques Duez, dit Jean XXII, un grand manipulateur mystificateur, plus attiré par l’alchimie que la religion, a entamé le célèbre criminologue, pour saluer, à sa manière, via ‘Son moment droit canon’ sa laïque présence dans ce haut lieu d’une dissidente papauté, mais tout de même pressé d’en venir au cœur du sujet. »

Tout commence avec la création de l’Etat civil en 1539
« C’est sous le règne de François 1er, en 1539, que fut inventé l’Etat civil, produit totalement laïque qui permettait de savoir à peu près quand l’on était né, quand on était mort et accessoirement, au fur et à mesure du temps, de quoi l’on était mort. »

Le comptage des homicides
« A l’époque, hors période de guerre, il y avait 150 homicides pour 100 000 habitants. Cinq siècles plus tard, au début des années 2000, nous étions tombés à 1,2 homicide pour 100 000 habitants. Nous n’avions jamais vécu une époque aussi sereine et apaisée. Hélas depuis 20 ans nous vivons une inversion de tendance, invisible d’abord, en phase d’accélération ensuite et avec, en 2023, la pire année depuis que nous avons un outil statistique moderne utilisé dès 1972, puisque, l’année dernière nous avons repassé le cap de 1 000 homicides, même s’il nous est arrivé d’atteindre les 1 500. Cependant nous avons passé le cap des 4 000 tentatives d’homicides qui ne sont rien de moins que des homicides ratés, dus à l’incompétence et à la mauvaise formation des auteurs, -qui sont les bienvenus chez moi pour une petite remise à niveau, a plaisanté le professeur de criminologie- et à l’amélioration exceptionnelle des services de secours. »

Actuellement 5 000 tentatives d’homicides
« Pour la première fois de l’appareil statistique, 5 000 tentatives d’homicides ! Nous avons passé le cap des 4 000 en plein confinement –en 2020-. Il y avait moins de 700 homicides il y a 10 ans. Nous vivons une inversion de tendance, complétée par une augmentation tout aussi massive des coups et blessures volontaires, des violences physiques. »

Le calcul de la criminalité et de la délinquance
« Or, quand on parle de la criminalité et de la délinquance, on fait un lot comprenant les cambriolages, les vols de voitures, d’accessoires dans les voitures, mais on ne fait pas la distinction entre la personne qui vous amène à être acteur de votre propre victimisation et les atteintes aux biens qui font de vous, en général, un spectateur lointain. Certes c’est désagréable mais vous n’avez rien subi. S’il y avait, par exemple, 400 000 cambriolages de plus et 200 000 agressions de moins, le chiffre serait très mauvais mais personne ne parlerait de la violence. A l’inverse, les chiffres seraient très bons et personne ne sortirait de chez soi. »

Le retour des violences physiques
« Ce processus-là de transformation et de retour de la violence physique, d’homicide, est soudain, alors que nous avions domestiqué la violence homicide, elle revient brutalement. Pourquoi, auparavant, s’est-il passé cette transition entre des affaires emblématiques exceptionnelles qui choquaient l’opinion alors qu’il ne se passait rien entre deux affaires exceptionnelles, à un niveau d’affaires exceptionnelles au quotidien, qui fait que l’exceptionnel est devenu quotidien et, lui-même, ordinaire ? »

Le problème majeur ?
« Cela pose un problème majeur : la demande de sécurité ne se traduit pas par un sentiment d’insécurité, ce qui existait hier, mais par un climat de violence qui s’est affirmé avec un élément qui n’est pas la statistique policière, ni administrative, ni l’emballage politique de tout va bien, tout va mieux… mais qui est le nombre de victimes traitées pour des actes de violence ,avec un outil statistique non manipulable qui est les statistiques des hôpitaux. » 

L’outil statistique des hôpitaux
« Lorsque l’on compare l’outil des hôpitaux, le traitement et le suivi des assurances qui sont des éléments extrêmement importants de la connaissance et de la méconnaissance des faits, car l’assureur n’est pas un bienfaiteur de l’humanité par nature. Ils ont inventé la franchise, qui porte mal son nom, c’est le moyen de ne pas vous payer ce qui vous est arrivé, de ne pas passer trois heures à attendre dans un commissariat pour ne pas être remboursé. Ainsi, on a une déperdition mécanique et continue de la connaissance des faits dus à un acteur qui n’est ni policier ni gendarme mais qui est assureur… »

Alain Bauer, criminologue et Michaël Orial, animateur de la conférence Copyright Mireille Hurlin

Les chiffres qui échappaient
« Sauf qu’à un moment donné, on s’est aperçu que quelque chose nous échappait. Notamment lorsqu’on s’est dit que tout le monde ne devait pas prendre les plaintes… C’est pas moi, c’est pas l’heure, c’est ailleurs, faites donc une petite main courante… Cela valait autant pour ceux qui prenaient la plainte que pour ceux qui venaient déclarer, notamment, les violences intrafamiliales (Vif) sur le thème : faut pas porter plainte parce que je ne veux pas être obligée de fuir le domicile conjugal avec mes deux enfants. C’était l’ancêtre d’un ‘Me too’ qui n’allait pas jusqu’au bout. »

Les enquêtes de victimation
« Du coup on a inventé des enquêtes de victimation. C’avait été le cas aux Etats-Unis il y a 50 ans, puis en Grande-Bretagne. J’ai été chargé, il y a une vingtaine d’années, de l’inventer en France. C’est là que nous avons découvert que 65% des victimes portaient plainte pour la dégradation de leur rétroviseur et 9% pour les violences physiques quotidiennes qu’elles subissaient. Pour la première fois, nous savions qu’il nous manquait 90% de violences physiques intrafamiliales qui touchent essentiellement, à 85% des femmes, des enfants et des étrangers. Pourtant ces personnes sont sur victimisées en matière physique et sous-identifiées en matière statistique. Un immense océan de violence n’était pas comptabilisé. Finalement, nous découvrions que nous n’avions pas de lisibilité de la réalité. »

Les chiffres fiables des homicides
« L’homicide, parce qu’on compte bien les cadavres depuis François Ier en 1539, est resté  l’indicateur le plus fiable et le plus stable que nous ayons, en temps de paix et non pas de guerre. C’est un extraordinairement indicatif de l’état de civilisation par la civilité et la domestication de la violence et également, de l’état de dégradation par l’augmentation massive des violences volontaires, des tentatives d’homicide et des homicides. En réalité, nous avons eu une immense chance de pacification massive et nous avons un retour de tendance par la violence qui devrait tous nous inquiéter. »

Votre livre reprend bon nombre de cold-cases. Comment le définir et comment les enquêteurs déterminent-ils s’il ont à faire à un cold-case ou pas?
« Aux Etats-Unis, un cold-case, est une enquête non résolue rapidement… C’est lorsque les éléments essentiels manquent : pas de cadavre, pas d’indices, pas de suspect ; un suspect mais pas d’indices, et où le niveau de popularité dans l’opinion d’émotion implique qu’il faut s’y intéresser. En France, il faut que l’enquête ait 18 mois. C’est donc l’article 706.106.1 du Code de procédure pénal qui désormais définit qu’un cold case n’a pas bien été traité, qu’il relève d’une série criminelle ou d’un cas qui n’a pas eu d’évolution majeure au bout de 18 mois et qui peut donc être traité, notamment par un Pôle national cold-case. Vous noterez qu’il a fallu 2023 ans pour s’intéresser aux cold-cases.

Tout d’abord le FBI (Federal bureau of investigation)
« Les Etats-Unis ont commencé à s’occuper de ces affaires dans les années 1970 au FBI. Alors pas du tout sur la question des cold cases mais parce qu’ils ont commencé à découvrir que des séries de cas non élucidées relevaient d’un seul auteur. Et donc par le biais de faits qui se ressemblent, de modes opératoires… Le premier serial killer de l’histoire ? Gilles de Rais, qui aimait beaucoup les petits enfants et les petites filles. On suppose qu’il en aurait tué entre 300 et 400, même s’il n’a été poursuivi que pour une trentaine. Alors c’est un grand capitaine d’armée, le numéro 2 de Jeanne d’Arc, un VIP serial killer, Malgré Landru et quelques autres, nous n’avions jamais vraiment développé un outil de gestion… »

Salle Cellier Benoît XII presque trop juste pour recevoir les têtes d’affiche Copyright Mireille Hurlin

Faire des corrélations
« Vous découvrez qu’avec un peu de jugeote, un magistrat tout seul pouvait découvrir que Joseph Vacher n’en était pas à son premier assassinat. Et bien nous, il nous a fallu extraordinairement de temps, il faut rendre hommage à un magistrat, d’ailleurs Jacques Dallest, et des avocats qui ont beaucoup travaillé notamment sur Les disparues de l’Yonne, pour se rendre compte qu’on ne s’occupait pas du tout de rapprocher les faits géographiquement. Aux États-Unis, en Grande-Bretagne et ailleurs, les cold-cases sont exhumés par l’opinion publique ou la détermination d’un enquêteur, d’un groupe d’enquêteurs. En France, 300 ont été identifiés. »

Comment les médias influencent-ils l’opinion publique sur le crime? Y a-t-il une limite du rôle des médias dans ces affaires et si oui, quelles sont-elles?
« La limite du rôle du média c’est la décence. Il n’y en a pas d’autres. Pour ce qui est de ceux qui croient encore qu’en France le secret de l’instruction existe, arrêtez d’acheter les journaux. Sur le reste, les médias servent à peu près tout. Ils servent aussi à relancer des enquêtes, à dénoncer des tentatives d’enfouissement. Ils servent à faire pression pour qu’une vieille affaire ressorte. Donc ils ont un rôle. Ensuite, il serait tout à fait insupportable d’imaginer un univers où le secret serait tel que les médias ne puissent pas parler du tout d’une affaire, sauf au moment où elle arrive devant le juge. On ne connaitrait pas celles qui n’arriveraient pas, on n’aurait pas de connaissance. »

Le vrai drame des médias ?
« C’est la perte des journalistes de faits divers. Il y a de très grands, d’immenses journalistes qui arrivent à faire le métier. Qui sont les gens qui racontent l’enquête. Les familles, les avocats, les magistrats, les policiers, les gendarmes. La demande est immense de pédagogie et d’informations pour que les gens puissent se faire leur propre opinion. Et pas ma propre opinion. »

La catastrophe ?
« C’est lorsque les magistrats, le juge deviennent des justiciers. Quand ils pensent qu’ils portent la bannière, qu’ils sont les héros d’une affaire. Ils partagent leur intime conviction –qu’elle soit vraie ou fausse- avec tout le monde, au lieu de la garder pour eux. Ils partent à la chasse aux suspects, ils vous annoncent tout et n’importe quoi, ils ne vérifient rien. Cela devient alors le drame de la médiatisation moderne. Auparavant, au moment où le journal était diffusé, on pouvait avoir trois contre-indications, deux vérifications. Là, c’est fini. En fait, une information et un démenti égal deux informations. ‘Et ça, c’est bon coco’, je cite. »

Un tempo de plus en plus accéléré
« Donc c’est un peu compliqué parce que les professionnels de l’information vivent dans un tempo de plus en plus accéléré et même les journaux dits sérieux, également présents sur un site internet, doivent le nourrir car il faut faire des clics. Éventuellement ça permet d’avoir des abonnements, on ne sait jamais. Et donc ils démultiplient le nombre d’informations et de désinformations en se contredisant parfois, en se justifiant rarement, et c’est à nous de faire le tri. C’est un vrai problème, ca n’est heureusement pas tous les médias, mais on sent bien qu’il y a des tentations et des pulsions à l’hyper rapidité. C’est le drame des chaînes d’info-continue et tout le monde se lance dans ça, y compris les quotidiens, bref, l’Internet a bouffé la qualité journalistique.

Attention aux pulsions de l’hyper rapidité
« Et puis de temps en temps, vous avez de très grands journalistes, spécialistes de l’investigation… Et aussi des stagiaires qui font leur métier de stagiaire, qui sont obligés de remplir des trucs avec rien et qui font la chasse à l’info. Donc on a le meilleur comme le pire, parfois dans le même journal, des fois que vous êtes sur le site web et pas sur le print. Mais c’est indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. Donc il faut faire avec. Simplement, il faut vérifier systématiquement les sources et avoir une diversité d’approches de l’information… Avec les réseaux sociaux et les algorithmes qui vous s’enferment dans une colonne de nage où vous ne vérifiez plus rien et où on vous pousse à l’extrêmisation de tout, sans que vous ayez la possibilité de vérifier ou de douter. »

Appendre le doute
« Moi, mon métier, c’est d’apprendre le doute, donc je vérifie tout et trouve les moyens de sortir de cela par ma propre volonté mais il est vrai que, pour l’instant, nous sommes de plus en plus enfermés dans une logique unique où évidemment personne ne reconnaît ses erreurs et où l’on pense que tout le monde a oublié. En fait, tout le monde mise sur l’amnésie du citoyen. Nous, on mise plutôt sur son intelligence. Moi je pense que dans l’opinion, il y a un effet de masse, et que l’effet de masse produit parfois la haine, la fureur, la vengeance. Ça dépend sur quoi l’on mise. » Puis Alain bauer s’est éclipsé en salle de la Grande audience pour la dédicace de ses ouvrages.

En savoir plus
Alain Bauer, professeur de criminologie. Professeur titulaire de la Chaire de Criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers (depuis 2009), directeur du Master de Sciences Criminelles et criminologie, Directeur scientifique et Vice-Président du Conseil scientifique du pôle sécurité défense du CNAM, Professeur titulaire de la chaire de sciences policières et criminelles du MBA Spécialisé Management de la Sécurité (Paris II, HEC, EOGN), Senior Research Fellow au Center of Terrorism du John Jay College of Criminal Justice à New York (États-Unis), à l’Académie de police criminelle de Chine, à l’Université de Droit de Beijing, Enseignant à l’Institut de criminologie de Paris (Université Paris II-Panthéon Assas), aux Universités Paris I-Panthéon Sorbonne et Paris V-René Descartes, à l’Ihesi puis Inhesj, au Centre national de formation judiciaire de la gendarmerie nationale, au CHEMI, Éditeur de l’International Journal on Criminology, Membre du Conseil Éditorial de PRISM (NDU).

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