La rédaction du quotidien Vaucluse Matin s’oppose au plan de restructuration de la direction du Dauphiné libéré auquel le titre fondé en 1946 appartient. Après avoir lancé une pétition contre ce projet mettant en cause la présence du titre dans une bonne partie du département, nos confrères ont organisé un rassemblement de soutien ayant particulièrement mobilisé élus et représentants de la société civile ainsi que du monde économique local.
Annoncée en grande pompe dans les locaux de nos confrères de Vaucluse Matin à Avignon en octobre 2022, la nouvelle formule du quotidien devait révolutionner le titre. Venue de Grenoble, la direction avait alors assuré son attachement indéfectible à cette présence en Vaucluse. « Nous allons faire en sorte que ce journal corresponde davantage aux Vauclusiens », expliquait d’ailleurs à cette occasion Christophe Victor, directeur général du Dauphiné libéré, titre appartenant au groupe Ebra, premier groupe de presse quotidienne régionale et premier groupe de presse de France. Un peu plus d’un an plus tard, la même direction vient d’annoncer un plan drastique touchant sévèrement la rédaction vauclusienne du titre implanté dans la cité des papes depuis 1946.
Défendre l’information de proximité
De quoi faire réagir, la rédaction de Vaucluse Matin, en grève depuis le 30 novembre dernier, qui a organisé ce mardi 5 décembre un rassemblement de protestation contre ces mesures d’austérité annoncées.
Réunis place de l’Horloge devant la mairie d’Avignon, nos confrères sont ainsi venus dénoncer ce plan d’économie et de transformation prévoyant la suppression de 9 postes sur les 24 salariés que compte le quotidien dans le département : une cheffe des sports, deux photographes, une assistante de rédaction, un responsable d’édition et quatre journalistes.
« Plus de photographes, plus de journalistes sportifs, plus d’assistantes, suppressions de 40% des postes en Vaucluse, plus de pages sport départementales… », énumère Alexandre Guey, délégué Forcé ouvrière et élu au CSE (Comité social et économique) du groupe de presse.
«J’apprends cette nouvelle comme une forme de censure.»
Joël Guin, président du Grand Avignon
Repli, retraite ou bérézina ?
Et notre confrère de poursuivre devant plus d’une centaine de personnes regroupant élus, représentants du monde sportifs et associatifs, journalistes des autres médias ou simples citoyens et lecteurs impliqués dans leur territoire : « Finie aussi la couverture du Sud Vaucluse avec des zones comme Cavaillon, l’Isle-sur-la-Sorgue et Apt où le journal n’y sera même plus vendu. C’est un véritable plan d’austérité qui sera accompagné d’un repli sur le Nord du département. Et même la ville centre, Avignon, sera concernée avec une couverture réduite et un véritable désengagement puisque le centre départemental historique de la rue de la République sera fermé à partir du 31 mars 2024. La plupart des journalistes se retrouveront à Orange et les autres seront basés dans un espace de coworking, quelque part dans la région d’Avignon. On ne sait pas encore où. »
« Avec ce plan de transformation du titre, l’avenir de votre quotidien est en danger et l’information de proximité sera fortement dégradée », a insisté le délégué FO devant les personnes venus soutenir l’action de la rédaction qui a également lancé une pétition ayant déjà recueillie près de 2 800 signatures.
«Maintenir la qualité d’une information objective pour les citoyens.»
Bénédicte Martin, vice-présidente du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur
Les élus s’inquiètent…
Dans un département historiquement terre de presse (voir en fin d’article), cette situation inquiète la totalité des élus locaux.
Parmi eux, Cécile Helle, maire d’Avignon, et Dominique Santoni, présidente du Conseil départemental de Vaucluse, ont décidé de parler d’une seule voix « en tant que républicaines attachées à la pluralité de la presse et à la liberté d’expression ainsi qu’à l’impérieuse nécessité d’avoir des journalistes de qualité présents sur notre territoire ».
Dans ce cadre, les deux élues ont entamé une démarche commune auprès du directeur général, basé au siège à Grenoble, afin de faire part de leurs inquiétudes « face à l’ampleur des mesures annoncées frappant un journal présent depuis près de 80 ans sur notre territoire qui participe pleinement à cette proximité si essentielle à notre vie locale. »
Au vue de la situation et de la mobilisation de toutes les forces vives du territoire, Dominique Santoni et Cécile Helle ont également annoncé qu’elles souhaitaient rencontrer très rapidement la direction afin d’évoquer ce désengagement programmé dans le Vaucluse considéré par ces dernières « comme totalement inenvisageable »
« J’apprends cette nouvelle comme une forme de censure », s’indigne pour sa part Joël Guin, président du Grand Avignon venu également apporter le soutien de l’ensemble des élus de l’agglomération. Le président masquant à peine sa colère après l’annonce d’enlever le siège d’Avignon. « Le Vaucluse sans Avignon, c’est quoi ?, interroge-t-il. Ce territoire du Vaucluse sans Avignon, cela n’existe pas ! »
Bénédicte Martin, vice-présidente du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur était aussi venue apporter le soutien de son président, Renaud Muselier. Elle a évoqué « ce lien local à l’heure des dérives des réseaux sociaux » et a souligné la nécessité « de maintenir la qualité d’une information objective pour les citoyens. »
Même mobilisation de la part de l’AMV (Association des maires de Vaucluse) qui par l’entremise de son président Pierre Gonzalvez a signé, au nom des maires du département, la pétition lancée par la rédaction de Vaucluse Matin.
«Sans vous, nous n’existons pas.»
Gilbert Marcelli, président de la CCI de Vaucluse
… et les membres de la société civile se mobilisent
« Sans vous, nous n’existons pas, insiste Gilbert Marcelli, président de la CCI de Vaucluse. C’est vous les journaux, et plus généralement les médias locaux, qui permettent de mettre en valeur les actions du monde économique au quotidien. Il ne faut pas détruire ce qui a été créé à la Libération. »
Un message des décideurs économiques relayait par l’univers de la culture avec Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon : « Il faut se battre pour l’idée qu’il n’y a pas de citoyen périphérique. Une démocratie n’est pas complète s’il n’y a pas d’information et de journalistes de proximité. »
« Sans les journaux d’Avignon, je pense que beaucoup d’entre nous auraient périclité », reconnaît en toute franchise Gérard Gelas fondateur du théâtre du Chêne noir.
« Si ce démantèlement devait arriver, ce qui reste derrière ce sont les réseaux sociaux, c’est-à-dire la poubelle ! Et non pas des professionnels, des gens qui aiment leur métier, qui vont chercher de l’information, qui l’analyse, qui ont du recul… Comme les artistes, les journalistes entrouvrent des portes sur la conscience. Et c’est vrai qu’aujourd’hui nous sommes dans une société où l’on dirait qu’il faut que la conscience soit abolie au profit du profit. »
«Une démocratie n’est pas complète s’il n’y a pas d’information et de journalistes de proximité.»
Tiago Rodrigues, directeur du Festival d’Avignon
Le monde sportif en émoi
Parmi les autres membres de la société civile venus apporter leur soutien à Vaucluse Matin, Roland Davau, président du CDOS (Comité départemental olympique et sportif) de Vaucluse qui s’inquiète de la disparition des pages sportives locales dans le quotidien « alors que nous allons rentrer dans une année olympique. Je tiens à dire qu’au nom des 1 300 clubs de Vaucluse et des 180 000 licenciés sportifs du département, il nous est impossible pour nous qu’il n’y ait plus Vaucluse Matin. »
« La disparition des pages ‘sport’ départementales, c’est une première pour un quotidien régional, s’alarme Alexandre Guey.
« Nous sommes particulièrement déterminés et je ne voudrais pas menacer qu’on puisse changer de banque », prévient Roland Davau en ciblant le Crédit Mutuel, actionnaire principal du groupe Ebra, qui n’hésite pas à parler de solidarité, de proximité et d’engagements. La fameuse banque qui appartient à ses clients, mais manifestement pas à ses lecteurs, pourrait ainsi constituer une cible de choix pour les contestataires.
Et ce d’autant plus que les représentants du monde associatifs rappelaient « que certains réseaux n’avaient pas d’autres moyens pour se faire connaître que la presse locale. »
«La disparition des pages ‘sport’ départementales, c’est une première pour un quotidien régional.»
Alexandre Guey, journaliste à Vaucluse Matin et délégué Forcé ouvrière
La presse quotidienne régionale en crise
Cette grève de Vaucluse Matin intervient alors que son concurrent, le quotidien La Provence est aussi entré dans une zone de turbulences. En conflit avec son nouveau repreneur, CMA-CGM, le titre marseillais a connu un mouvement de grève le mois dernier. En cause, la volonté de la direction de supprimer plusieurs dizaines d’emplois dont plusieurs journalistes et photographes en Vaucluse. Les fermetures des agences d’Orange et Carpentras étant même évoquées.
De l’autre côté du Rhône, la situation n’est guère plus reluisante pour Midi libre dont les équipes se sont réduites comme peau de chagrin à Villeneuve-lès-Avignon et Bagnols-sur-Cèze. Seule lueur visible dans cette crise que connaît la PQR (Presse quotidienne régionale), le retour en Vaucluse de La Marseillaise depuis septembre 2022. De quoi permettre au bassin de vie d’Avignon de disposer d’une offre de pluralité de la presse inédite en France avec 4 quotidiens.