Bruno Msika a fondé ‘la bonne maison Cardère’, une maison d’édition spécialisée dans le pastoralisme et les sciences humaines et sociales. Installé rue Agricol Perdiguier à Avignon, il témoigne par son métier et les ouvrages façonnés avec des auteurs sensibles à la vie, à l’environnement, à l’écologie et au droit à sortir des sentiers battus. Il s’interroge sur le formatage de notre pensée depuis l’entrée à l’école jusqu’à la fin de vie en établissement spécialisé où notre mode sociétal nous couperait de notre véritable existence qui est de penser, d’innover, de rester liés les uns aux autres et avec notre environnement.
« J’ai toujours eu besoin de comprendre mon environnement. C’est l’une des raisons qui m’ont conduit à un doctorat d’écologie méditerranéenne appliqué au pastoralisme. L’autre passion de ma vie est l’écriture et la mise en pages qui m’a d’abord poussé à proposer des prestations de relecture, de recherches iconographiques pour la mise en valeur de textes d’études auprès d’organismes de recherche et de structures techniques. Un travail qui m’a amené à fonder la Maison Cardère en 1999. Mon but ? Combattre l’idée que les métiers du pastoralisme appartiennent au passé, qu’ils sont vieillots et désuets. C’est pourquoi je reste très méfiant vis-à-vis des fêtes de la transhumance et des musées qui enferment et figent des métiers et des savoir-faire dans un passé nostalgique alors que ceux-ci restent très actuels.
Un exemple ?
L’image que les gens se font du berger comme un vieil homme un peu benêt avec son litre de rouge, son quignon de pain, sa cape, son chapeau à large bord flanqué d’un chien collé au mollet. Un cliché dorénavant inscrit dans les mémoires parce qu’il séduit les gens… La réalité ? Les bergers sont jeunes, diplômés et font, pour la plupart, un bref passage dans le métier afin de nourrir leur réflexion pour renouveler un savoir-faire qui demeure depuis… 8 000 ans. Ce métier, qui ne réclame aucun autre outil qu’un couteau, continue d’exister en s’adaptant toujours. Alors, avec mon ami, Guillaume Lebaudy, ethnologue, qui dirigeait encore récemment la Maison du berger à Champoléon dans les Hautes-Alpes, nous avons eu envie d’engager l’édition avec la collection ‘Hors les drailles’ ( chemins de transhumance, mais aussi petits chemins tracés par les troupeaux sur les flancs des montagnes). Une collection qui fait la chasse aux idées reçues et à la pensée unique qui formatent nos vies. Cela m’amène à évoquer le confinement avec sa privation de liberté et particulièrement l’isolement des personnes âgées que l’on ‘empêche’ de vivre. Cela me fait penser aux gilets jaunes, aux zadistes de Notre Dame des Landes, aux communautés autosuffisantes, qui échappent au ‘contrôle’ du pouvoir et sont sévèrement voire violemment réprimées. Exprimer une opinion devient difficile sans que les gens qui vous entourent ne vous musèlent et cela est, pour moi, le signe d’une dictature car chacun se fait policier de l’autre. C’est le procès de Charlie Hebdo qui révèle le procès des libertés, ‘on n’a plus le droit de se moquer’… Les opinions n’ont-elles donc plus le droit de s’exprimer ?! En tant qu’éditeur, je m’interroge. »
Propos recueillis par Mireille Hurlin