Baudouin Ardillier est frère de la communauté de Saint-Jean à Avignon et curé de paroisse de l’église Saint-Ruf à Avignon où il prêche au cœur du renouveau charismatique. Il évoque la crise du Covid-19 et continue de proposer à chacun et aux plus jeunes d’entre nous de se construire en sachant qui nous sommes et d’où nous venons.
Ce que l’on vit actuellement avec le Covid-19
«Plusieurs réflexions me viennent. On est en train de faire un atterrissage et de vivre une désillusion. Nous vivons dans une société qui, selon moi, est fondée sur de grandes illusions : la toute-puissance de l’homme et du marché économique, la primauté de la consommation pour exister et, surtout, l’invulnérabilité, avec la volonté de l’homme augmenté (trans-humanisme, mouvement culturel et intellectuel international prônant l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des êtres humains) pour vaincre enfin la mort, bref, devenir maître de la vie et de la mort.»
Et voilà qu’un infime virus
«Et voilà qu’un infime virus fait tomber l’ensemble des croyances de l’humanité. Je parle là des même croyances qui avaient cours sous la Rome antique ou chez les grecs comme on se souvient d’Icare, le fils de Dédale, qui, approchant trop du soleil s’est brulé les ailes, tomba et mourut. On pense à la tour de Babel qui s’élevait pour toucher le ciel et qui s’écroula. Derrière cette unité de façade d’un monde où nous serions tous unis, « tous citoyens du monde », il y a quelque chose qui ne colle pas. Ce quelque chose ne correspond pas à l’identité de l’homme. Comme si l’on voulait faire vivre à l’homme quelque chose de faux. Aujourd’hui, simplement, on s’en rend compte. On vient de quitter le monde de certaines illusions et certitudes, mais temporairement je le crains.»
Le frein le plus étonnant
«Le frein le plus étonnant ? On ne sait pas de quoi demain sera fait : économiquement, humainement, spirituellement, au niveau de la santé. On ne sait plus rien. Je viens d’apprendre quelque chose de très intéressant. Les plus grands spécialistes américains, dans les prévisions qu’ils ont faites du Covid-19 en Amérique il y a quelques semaines se sont trompés. Pour eux sur 12 jours il devait y avoir 19 à 20 000 morts alors qu’au moment où ils leur pronostic devait se réaliser il y en avait déjà plus de 100 000. L’erreur qu’ils ont faite est colossale. On se retrouve avec des gens qui affirment une vérité scientifique alors qu’ils ne savent pas.»
“Le frein le plus étonnant ? On ne sait pas de quoi demain sera fait : économiquement, humainement, spirituellement, au niveau de la santé“.
L’essentiel versus l’accessoire ?
«La limite de tout ce que l’on vit ? On passe des ‘sachants’, ‘spécialistes’, ‘pseudo experts’ à rien… Rien qui puisse nous rassurer parce que personne ne sait ce dont demain sera fait. Finalement c’est la question de la mort qui est posée. Il y a ceux qui recherchent des moyens de se rassurer et qui n’en trouvent pas et puis il y a une démarche spirituelle qui naît ou peut naître chez certains qui se posent la question de l’essentiel et de l’accessoire. Peut-être que l’humilité nous propose de vivre autre chose.»
La limite ? Ceux qui mourront de faim à l’autre bout du monde…
«Une personne m’a dit : ‘Quand on consomme le minimum –c’est-à-dire lorsque l’on se contente du nécessaire – : on est en crise économique ! C’est fou ! Ce qui va se produire ? Beaucoup craignent de grands troubles. On va reprocher aux hommes politiques leur manière d’avoir géré le Covid-19. Peut-être parce que, chez nous, avec le confinement on aura épargné quelques morts mais qu’à cause de ce confinement des millions de personnes pourraient mourir de faim à l’autre bout du monde du fait de l’arrêt de notre économie. C’est aujourd’hui la grande question qui se pose.»
Une situation exacerbée ?
«La situation actuelle exacerbe l’ensemble des problèmes actuels, comme le dévoilement de certains comportements lors du confinement, comme les différences sociales parce qu’on n’est pas confiné de la même façon dans 10m2 ou dans une grande maison. C’est aussi une affaire de vulnérabilité et l’injustice d’être ‘étayé’ psychologiquement ou pas pour vivre ce genre de situation, car notre société a créé beaucoup de gens qui ne savent pas ce que c’est d’avoir un monde intérieur, un contenu riche de sa propre vie spirituelle… Un exemple ? Aujourd’hui les gens parlent avec peu de mots de vocabulaire mais s’expriment avec plus de violence. Je crains que nous ayons une exacerbation de la violence. Ce qui était déjà limite sera vite dépassé. Il me semble que soit nous vivrons une véritable réforme humaine, soit nous risquons une explosion sociale.»
Banlieues et Gilets jaunes
«Les banlieues sont depuis longtemps frémissantes et les Gilets jaunes sont en colère. Nous nous trouvons face à une poudrière terrible. Notre problème ? Faire face à un système économique sans contenu. Notre système économique, dans les grandes lignes, propose une identité construite par le faire et l’avoir, et non pas par l’être. Soit l’on fait et l’on a et donc l’on est quelqu’un, mais l’idée d’être, à elle seule, n’existe plus. Or, les gens ont besoin de fond et cette crise du Covid-19 ne nous laisse rien d’autre, en ce moment, que de nous interroger sur ce que nous sommes. Certains appelleront cela ‘repli identitaire’ alors que moi j’appelle cela un approfondissement de la vie personnelle, de la vie intérieure.»
Vacuité du monde
« C’est un monde souvent creux qui se résume à avoir ou ne pas avoir, être un leader ou ne pas l’être. On n’en n’a rien à faire ! La question est : qui suis-je et où vais-je ? Quel est le sens, le rôle de ma vie ? Le monde ne répond pas à ces questions et va même à l’opposé : ‘ne te poses pas la question’. Le plus grand danger ? Cette idéologie qui a décidé de supprimer l’homme et sa quête de sens pour la remplacer par la matière et la quête de l’avoir et du pouvoir. Aujourd’hui nous sommes en échec et la seule chose qui reste est la quête de sens, cependant, comme elle n’a pas été nourrie de spiritualité et d’intelligence depuis des années, cela se transforme, chez beaucoup, en angoisse, en fuite et en désespoir.»
Les Gilets jaunes
«Comment j’analyse la crise des Gilets jaunes ? C’est juste la manifestation de gens qui ont du bon sens et qui disent : ‘je gagne ce que je créé et ce que je produis chaque jour. Or, on ne reconnait pas ce que je produis alors que cela fait vivre les gens’. Dans le même temps d’autres nous montrent aussi que nous vivons dans un monde d’adolescents et disent : ‘on n’a pas besoin de produire de la bouffe, ni de faire ‘tourner’ le pays parce qu’on bénéficie de lait en cubes d’un litre, de la Caf (Caisse d’allocations familiales), des exonérations, du chômage, des RTT (Réduction du temps de travail)… Le problème ? La manière de considérer le travail aujourd’hui. Le travail est une belle chose, produire avec ses mains est valorisant, se lever pour gagner son pain permet de se regarder dans la glace. Mais bien souvent, les aides sociales sont plus confortables qu’un travail, et je comprends très bien que beaucoup hésitent à perdre en pouvoir d’achat dans le monde du travail. Le système marche sur la tête, et rend les gens dépendants non pas de leur travail remplacé par celui de l’autre bout du monde, mais dépendant de prestations sociales. Cette injustice sociale est une des raisons du soulèvement des Gilets jaunes. Qui, aujourd’hui fait ‘tourner la France’ ? Les Gilets jaunes ! Ce sont ceux qui, hier, étaient dans la rue qui, aujourd’hui, sont au boulot, masque sur le nez.»
Ce qui est sous-jacent ?
«Ce qui est sous-jacent à tout cela ? La réalité du monde. Il est très ‘bobo’ de faire son pain chez soi, mais la boulangerie c’est un vrai métier, tout comme la culture du blé. De même que le lait ne naît pas dans des briques mais grâce au travail du paysan-agriculteur qui élève des vaches et les traie. Nous sommes dans une crise de vie. Nous bénéficions de la production des autres alors que les producteurs français sont méprisés et que le plus souvent, fruits, légumes ou viandes font le tour de la planète. Nous sommes en train de tout tuer. Quand on n’est plus dans le monde du travail mais du loisir, à un moment donné, les gens qui travaillent n’acceptent plus le loisir des autres parce qu’ils se retrouvent à être les seuls à travailler devant d’autres qui considèrent le loisir comme leur travail. C’est là tout le problème. Et la culpabilité ne repose pas sur les gens, mais sur une politique (polis, la cité) qui s’est détaché d’une sagesse ancestrale balayée par une vision creuse.»
“Je dirais à ceux qui construisent l’avenir que l’on doit revenir à notre frise chronologique historique. Pour être faut-il savoir qui nous sommes et d’où nous venons et remonter plus loin qu’au siècle des lumières…“
Des spécialistes mais pas de vision
«Après le Covid-19 resterons-nous les mêmes oubliant ce qui s’est passé ? Chassez le naturel et il revient au galop ! Qu’est-ce que l’humanité sait faire d’autre ? Car l’humanité a oublié son histoire. Aujourd’hui on ressort la grippe espagnole de 1918 et les gens s’interrogent. Ah bon ? Tout le monde dit : ‘C’est à cause de la mondialisation.’ Pourtant la grippe espagnole a fait des millions de morts en Europe parce qu’un homme y est arrivé par bateau d’Amérique ! On n’a plus d’histoire mais des thématiques sans chronologie et on ne sait donc plus qui l’on est. Il n’y a plus de sagesse, on a tout remplacé par la Science.»
La conduite du changement
«La question ? Que donner aux gens pour nourrir leur vie personnelle et pour qu’ils aient envie d’une vraie conduite du changement ? Nous vivons une crise des idées, des leaders du Monde qui ne sont plus des sages mais des opérationnels de la décision sans précisément de vision. Et les gens qui en ont sont souvent des extrémistes. On manque de sages visionnaires. Au lieu de créer du nouveau qui tire vers le haut on revient à nos fondamentaux plutôt creux. On risque ainsi d’accélérer la consommation pour assurer notre bien-être et notre paix. Pour autant la consommation n’est pas un mal, tant qu’elle est juste et ajustée à l’homme et à la planète.»
L’exemple de l’Inde
«Ce que l’on a perdu ? Le sens de la nation, de l’autonomie alimentaire, médicale, agricole, industrielle. Ca fait des années que tous les grands pays industriels critiquent l’Inde qui a mis en place un système incroyable : chaque année le gouvernement Indien préempte une partie des récoltes ce qui a pour résultat de prémunir le pays en cas de famine. Ça s’appelle de l’autosuffisance. Aujourd’hui ce pays n’a pas besoin de l’aide alimentaire des autres. Et nous ?»
Ceux qui savent faire et ceux qui font
«La France s’est désindustrialisée et ‘boboïsée’ seulement soutenue par le tertiaire, mais on n’est plus dans le travail et la production et dans un savoir-faire acheminé ailleurs pour que les autres fassent ce que nous, nous savions faire. Maintenant il y a ceux qui savent faire et ceux qui font. On risque de se ‘réindustrialiser’ avec, cependant, la limite Allemande. Car eux n’ont pas lâché leur industrie et profitent à plein des deniers de l’Europe. Certains disent : ‘il faut plus d’Europe’ tandis que d’autres disent : ‘c’est la fin de l’Europe’, ou encore, ‘c’est la fin de la mondialisation’. Tous disent juste ce qu’ils pensaient avant et le justifient avec la crise. La difficulté ? Si on réindustrialise l’Europe le risque est que l’on ne pense pas au bien des pays mais au bien de l’Europe. L’Europe deviendrait une nation. Or, il me semble que les gens ont besoin de retrouver une unité de culture, de langue et d’histoire afin qu’on ne dise pas un jour que la guerre de 1939-45 était un conflit régional entre la Picardie et la Bretagne. Parce que nous vivons tous des histoires différentes et nous ne sommes pas les mêmes.»
Mais demain ?
«Aujourd’hui on dit : ‘Bien sûr qu’il faut ré-industrialiser, re-soigner, re-nationaliser, faire revenir en France les outils de travail’. C’est la base. J’attends de voir demain. Le grand souci ? Est-ce que la France sera bénéficiaire de ce retour à l’autonomie ? Mais lorsque l’on parle ainsi, on se fait traiter d’anti-Européen parce que, dorénavant, on a peur de parler de pays, de nation, de souveraineté nationale, de culture, d’identité… Ou encore de souverainiste, de Front national a qui, malheureusement, on a abandonné des notions fondamentales chères à Robert Schuman ou Konrad Adenauer (les pères de l’Europe). Faudra-t-il relancer le pays ou l’Europe ? Ou relancer l’Europe de ses pays ?»
A ceux qui construisent l’avenir
«Je dirais à ceux qui construisent l’avenir que l’on doit revenir à notre frise chronologique historique. Pour être faut-il savoir qui nous sommes et d’où nous venons et remonter plus loin qu’au siècle des lumières… Or, nous avons effacé qui nous étions, notamment en 1968 avec ‘du passé faisons table rase’ (L’Internationale). Pour construire le futur nous avons besoin d’historiens, de sages, de philosophes, de personnes d’envergure à la fois non seulement dans la tactique mais aussi dans la stratégie. S’il nous faut des ingénieurs pour construire des ponts, il nous faut aussi des hommes pour tracer des routes, des itinéraires pour aller quelque part : des visionnaires-philosophes. Pour que nos jeunes prennent de la hauteur, qu’ils puissent remettre en cause librement, dire ce qu’ils pensent et penser ce qu’ils disent.»