10 janvier 2025 | André Bernard, figure du monde agricole vauclusien, prend sa retraite

Ecrit par Andrée Brunetti le 10 janvier 2025

André Bernard, figure du monde agricole vauclusien, prend sa retraite

Il a creusé son sillon pendant près de 50 ans, André Bernard prend sa retraite, mais il continuera à se battre comme un lion pour les paysans.

On le connait, le président de la Chambre d’Agriculture de Provence-Alpes-Côte d’Azur ne compte pas rester inerte en 2025. Celui qui a racheté l’exploitation ses parents à Uchaux dans les années 70, l’a agrandie au point qu’elle est passée de 6 hectares à 150 et qu’il a diversifié l’exploitation familiale avec de la tomate industrielle, des céréales, de l’ail, de la fraise et qu’il l’a adaptée aujourd’hui aux énergies renouvelables avec du photovoltaïque dans ses champs.

Sa vie de paysan engagé a débuté chez les JA (Jeunes agriculteurs) pour en devenir président en Vaucluse en 1982, membre du Bureau national, président régional, puis à la quarantaine, il passe à la FDSEA (Fédération des Syndicats d’Exploitants Agricoles). Élu à la Chambre d’Agriculture de Vaucluse, il porte haut et fort la voix des agriculteurs, devient président de celle du Vaucluse (2013-2019) puis pendant ces 5 dernières années, président de celle de la Région Sud. Une série de mandats de rencontres qui lui ont permis lui qui au départ savait à peine lire et écrire, d’apprendre, de se former, de s’enrichir. « Je n’avais qu’un BEPC en poche, mais grâce à l’enseignement agricole, j’ai réussi à m’élever au-dessus du CAP et à échanger avec des collaborateurs, des ingénieurs. Grâce à eux, j’ai continuellement évolué, engrangé des connaissances et des compétences. »

Ses combats

Ce dont André Bernard est le plus fier au terme de ses combats : « Avoir réussi, lors de la mise en place des aides de la PAC (Politique agricole commune de la Communauté Européenne), d’en récupérer l’intégralité pour la tomate industrielle, c’était un combat de titan en 2006-2007. En 2009, cela a été d’obtenir l’exonération d’une partie des charges sociales pour les paysans qui emploient des salariés, le coût du travail a été mieux payé. Et bien sûr ‘Med’Agri‘, que j’ai créé il y a une dizaine d’années. Le salon professionnel de l’agriculture méditerranéenne au Parc des Expositions avec des débats, des conférences sur les nouveautés, les techniques de pointe.

Il est une véritable caisse de résonance du monde paysan. Le miroir de toutes ses préoccupations : climatiques et environnementales, avec la raréfaction de la ressource en eau, les épisodes de gel, de canicule. Mais aussi la recherche du bien-être animal, de la mécanisation des tâches répétitives, de la décarbonation, de l’amélioration des revenus des paysans. La mondialisation de la concurrence est faussée par des règles différentes d’un pays à l’autre, y compris au sein du Marché Commun. Il est nécessaire d’avoir une souveraineté alimentaire alors que nous produisons seulement 15% de ce que nous consommons. Il y a urgence aussi de simplifier l’avalanche de normes et de contraintes inutiles qui s’abat sur nous avec une administration tatillonne qui nous traque jour et nuit par des injonctions mailées sur notre ordinateur.

« C’est chez les paysans qu’on compte le plus grand nombre de suicides »

Autre bataille dans laquelle s’est engagé André Bernard : que l’on prenne en considération les paysans. « On nous traite de pollueurs, de prédateurs, de criminels parce qu’on consomme de l’eau, qu’on utilise des fertilisants, qu’on pollue. Mais l’eau, on la rend sous forme de fruits et de légumes. On ne reproche pas aux gens de construire toujours plus de piscines ni aux joueurs de golf de pratiquer un sport gourmand en mètres cubes. Notre agriculture bénéficie d’un nombre impressionnant de labels (bio, AOP, AOC, IGP, Label rouge), c’est la preuve qu’elle progresse, produit des vins et du maraîchage de qualité. Et à cause de cet agri-bashing, c’est chez les paysans qu’on compte le plus grand nombre de suicides. 526 par an, selon un chiffre qui date de 2016. Depuis, il a dû s’aggraver, ce qui fait presque deux par jour. »

L’eau, une de ses principales préoccupations

André Bernard a pris le taureau par les cornes pour sécuriser l’irrigation en convainquant les élus, les préfets de Vaucluse et de la Drôme, la Région Sud, les syndicats de l’eau, de la nécessité d’irriguer les cultures grâce à un prélèvement mesuré de l’eau du Rhône, le fameux projet HPR (Hauts de Provence Rhodanienne). Un plan pharaonique d’hydraulique agricole qui concerne 81 communes et 3 500 exploitations sur une superficie de 87 000 hectares. « Le 1ᵉʳ objectif est d’économiser l’eau, réussir la transition écologique et maintenir une agriculture durable sur nos territoires, explique André Bernard. C’est le plus gros chantier en 50 ans, de 800M€ environ. Bertrand Gaume, notre ancien préfet, avait parlé d’un ‘immense puzzle’, mais c’est le prix de la survie de ce territoire ».

L’agriculture et les énergies renouvelables

Autre cheval de bataille d’André Bernard, toujours pour conforter et diversifier les revenus des paysans, en plus de l’œnotourisme, les énergies renouvelables. « Le photovoltaïque est une vraie richesse, une vraie valeur ajoutée, chez nous où le soleil brille plus qu’ailleurs. Elle rapporte entre 5 000 et 6 000€ par an et par hectare. Mais elle risque de profiter surtout aux gros propriétaires, donc je suggère qu’au-delà de 5 hectares, donc 25 000€, 1000€ soient alloués au paysan et le reste de l’argent soit réinvesti au bénéfice du territoire agricole et rural. Ça aiderait par exemple à l’installation des jeunes agriculteurs, dans un pays où 40% des exploitants agricoles ont plus de 55 ans et où il faut faciliter la transmission des fermes et des domaines. »

Et comme il n’est jamais à court d’idées novatrices, André Bernard a aussi installé sur ses terres d’Uchaux un ‘Fragolab’, des serres recouvertes de panneaux photovoltaïques sur 1 800 m² qui vont permettre de faire pousser plus vite des fraises de Carpentras. Elles seront précoces et ne subiront pas la concurrence de celles qui viennent d’Espagne.

La méthanisation

La méthanisation fait partie du champ des possibles pour que les finances des agriculteurs ne battent pas de l’aile. En 2023, André Bernard avait lancé à Tarascon l’opération ‘TOMMATES’ (Techniques, outils et méthanisation pour la multiperformance agricole des territoires et des systèmes). « Nous devons réfléchir à un nouveau modèle de production face aux contraintes sur le prix de la main d’œuvre et des charges sociales, sur le coût des matières premières et de l’énergie ». Lui qui préside la ‘Sonito’, qui regroupe les professionnels de la tomate industrielle, s’est aperçu que cette filière ne couvre que 10% de nos besoins en pulpe, sauces et coulis de tomates, de sorte que nous dépendons d’importateurs italiens, espagnols et chinois. Eux, précisément qui avaient englouti ‘Le Cabanon’, le fleuron connu dans la France entière, basé à Camaret, qui transformait 400 000 tonnes par an et avait même installé un pipe-line souterrain relié, à l’époque à l’usine Buitoni. « Pour que la tomate reprenne des couleurs, nous devons nous adosser à d’autres filières, riz, blé, légumineuses comme pois chiches et lentilles, développer la culture de la tomate en plein champ grâce à une agriculture régénérative et décarbonée.

Le méthane sera utilisé pour transformer les biodéchets en biogaz qui alimentera les sites agroalimentaires du territoire et le digestat, le résidu qui sort à l’issue du processus de méthanisation, riche en fertilisants, servira d’engrais. Ainsi, la boucle sera bouclée, un projet d’économie circulaire globale », précise-t-il. « On pourra même planter des herbes aromatiques, des fleurs, occuper l’espace sans tuer le sol grâce à une rotation. Sans parler des couverts végétaux qui permettent de diminuer la température de 14° quand le soleil cogne. » Un projet est en cours sur la commune de Piolenc, près de l’autoroute. L’ambition est de créer des îlots agricoles de 1000 à 1500 hectares, permettre aux exploitations de se moderniser pour être compétitives et fixer, à terme, des centaines d’emplois non délocalisables pour les futurs jeunes paysans.

Une envie de transmettre

Pour conclure, il reste optimiste et combatif. « Quand on nait pauvre, on se décarcasse. Nos grands-parents, nos parents ont su enjamber les obstacles, s’adapter aux métamorphoses de l’agriculture, investir dans des tracteurs. Nous aussi, nous avons pris en compte les attentes des ‘consom’acteurs’. Le paysan doit être considéré à sa vraie valeur, vivre de son travail dignement. Qu’on fasse tomber les barrières administratives inutiles, le monde ne nous attendra pas. Si nous ne faisons rien, le changement climatique va nous dépasser et nous avaler. Donnons aux jeunes l’envie d’avoir envie de vivre de l’agriculture qui façonne nos paysages et nous nourrit. »

« Je me bats comme un lion depuis 40 ans. »

André Bernard

André Bernard ne risque pas de disparaître du paysage agricole local, il va faire partie du ‘Collège des retraités’ à la Chambre régionale d’Agriculture, continue à l’ANIFELT (organisation des fruits et légumes transformés, pomme de terre, bigarreau, champignon, pruneau), et restera président de la Sonito et du Canal de Carpentras, qui couvre une zone irriguée de plus de 10 000 hectares. « Je serai là pour aider si nécessaire », résume-t-il dans un large sourire. Lui qui représente la 6ᵉ génération de la famille Bernard, dont le fils Sylvain a pris la suite, lui aussi engagé dans le syndicalisme agricole. Et à son tour, l’un de ses petits-fils, Adrien, 20 ans, laboure la terre de ses ancêtres. Transmission réussie, André Bernard !

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