Alors que c’est demain que l’assemblée départementale se réunira en séance plénière pour délibérer sur la fusion de Vallis habitat et Grand Delta habitat, le sénateur socialiste de Vaucluse Lucien Stanzione rappelle qu’il reste indéfectiblement attaché à ce que le bailleur social du département reste un outil de la collectivité publique. Pour lui, ce rapprochement est davantage une volonté politique qu’une décision financière.
Lucien Stanzione, que pensez-vous du projet de fusion des bailleurs sociaux vauclusiens Vallis habitat et Grand Delta habitat dont la validation doit être votée ce vendredi 7 octobre en séance plénière du Conseil départemental de Vaucluse ?
« Concernant la question du logement social, je connais un peu le sujet puisqu’il y a 10 ans j’ai été directeur de Mistral habitat avant que ce bailleur ne change de nom pour devenir Vallis habitat en septembre 2020. J’ai donc connu cette maison pendant plusieurs années et aujourd’hui, ce que je vois va au-delà de ce qui est entendable et faisable. »
Comment cela ?
« Mistral habitat s’est transformé en Vallis habitat après la fusion de Grand Avignon résidences (ndlr : l’ancien OPHLM de la ville d’Avignon puis de l’agglomération) en raison de la loi Alur 1, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové promulguée en mars 2014, qui imposait un parc minimum de 15 000 logements. Vallis habitat est donc un office public d’habitat social. C’est un service public au service des vauclusiens, mis en œuvre par le département de Vaucluse. Il y en a 200 en France et chaque département en est doté. Mais aujourd’hui il y a une décision prise par le conseil départemental, par la présidente Dominique Santoni qui dit : on procède à la dissolution de Vallis habitat et son absorption par Grand Delta habitat (GDH). Mais pourquoi ? J’ai posé la question : ‘pourquoi dissoudre un outil au service du département’. Pas de réponse. »
Le Département évoque notamment la fragilité financière de Vallis habitat, particulièrement plombé par le mauvais état de son parc de logements ?
« Le relevé individuel de situation fait par la fédération des HLM, qui évalue la santé financière de chaque office public, fait apparaître lors des 3 dernières expertises, que Vallis habitat est plutôt en bonne santé. Ce n’est pas florissant mais la structure est en bonne santé et économiquement viable. De surcroît, le personnel qui est aujourd’hui désarçonné par ce projet de fusion absorption a fait lui aussi réaliser, dans le cadre de son CSE (Comité social et économique), une expertise par un cabinet indépendant qui arrive à la même conclusion : l’office Vallis habitat n’est pas en danger sur les questions financières. »
« Par ailleurs, l’Ancols (Agence nationale de contrôle du logement social) a procédé à un contrôle de Vallis. Dans ce cadre, elle vient de rendre son rapport à la présidente Dominique Santoni à qui j’ai demandé de le rendre public. Si vraiment ces conclusions démontrent que cette structure n’est pas viable dans le temps parce que trop de charge, qu’il y a mauvais compte d’exploitation, et que donc il y a une catastrophe à venir. Et bien qu’elle le publie comme cela on aura la certitude de procéder à cette opération avec GDH. »
« Mais face à cela, je suis pour le service public quand on le fait bien fonctionner. Je le suis d’autant plus lorsqu’il s’agit de logement social, surtout lorsque cet outil est vauclusien. Il serait dommage de le sacrifier. Après on se bagarre tous sur des chiffres, mais le vrai souci c’est que c’est une volonté politique. »
La ‘fragilité’ de Vallis habitat n’est-elle pas liée au fait que, à l’époque, on a associé deux structures (Mistral habitat et Grand Avignon résidences) qui avaient déjà du mal à assurer leur rôle d’outil d’aménagement. Que ce soit dans la production de logements ou dans la capacité de maintenir en état ou de réhabiliter le parc existant ?
« C’est exact, mais la majorité départementale actuelle a eu 7 années pour remédier à cette situation. Mais maintenant, on essaye de me faire porter la responsabilité parce que j’étais là il y a 10 ans.»
Ne paye-t-on pas également aujourd’hui 30 ans de difficultés et de clientélisme, à droite comme à gauche, qui ont amenuisé les marges de manœuvre de Vallis habitat ?
« C’était aussi une responsabilité politique que de prendre les bonnes décisions. Il fallait peut-être prendre les bonnes personnes au poste de direction et d’encadrement. Depuis 7 ans, ce n’est quand même pas moi qui ai procédé aux recrutements. Quand on a la responsabilité d’une telle structure, on recrute des cadres du milieu. Il y a de bons salariés, quand il y a de bons cadres. »
« Mais pour avoir un bon niveau de direction, il faut aussi s’en donner les moyens. Je le répète, c’est que l’on n’a pas la volonté politique et que l’on ne prend pas les décisions pour recruter une équipe digne de ce nom. Parce que les personnels présents ne sont pas plus ‘mauvais’ que les autres dès lors qu’on les anime comme il faut et qu’on leur fixe des objectifs clairs. Ça fonctionne ailleurs, pourquoi cela ne marcherait pas dans le Vaucluse. »
Mais n’est-il pas trop tard, notamment en raison des investissements majeurs à réaliser par Vallis habitat pour jouer pleinement son rôle ?
« C’est vrai que d’un côté on constate qu’il y a une structure qui a du retard et qui construit trop lentement. Mais en face, on a quoi ? On a GDH dont le président Michel Gontard est un grand professionnel du logement social. Il est entreprenant, il est innovant, il construit beaucoup et plutôt de bonne qualité. Très bien. Mais GDH est aussi particulièrement endetté. Le capital apporté par Vallis ne va-t-il pas servir à remonter la structure financière de GDH. Je pose la question, mais personne ne me répond. N’empêche que c’est une réalité. »
« J’ai su par la fédération nationale des offices HLM que le capital de Vallis a été estimé à 800M€ environ. La présidente répond que ce n’est que 204M€ car effectivement elle enlève tout ce qui est comptabilisé en dette aux banques. En-tout-cas, le capital il est là et on va venir capitaliser GDH sans que le département n’en récupère un centime. Là on fait un cadeau à la recapitalisation. »
« Et au final, est-ce qu’on ne va pas faire comme il y a quelques années avec le rapprochement de Grand Avignon résidences. Est-ce que l’on ne va pas prendre le risque de plomber les deux ? Je continue à dire que Vallis habitat peut augmenter sa performance si on s’en donne les moyens. »
Vous vous inquiétez également pour le montant des loyers ?
« Bien sûr il y a un plafonnement du prix au m2 qui s’applique à tous les opérateurs du logement social et donc à Vallis habitat et GDH. Mais effectivement, la crainte des locataires c’est de voir désormais les loyers augmenter. On nous dit que c’est encadré tous les ans par l’indice à la construction mais ceci étant il peut y avoir aussi des dérogations au dépassement de cet indice. L’autre revers de la médaille, c’est que le patrimoine de Vallis est beaucoup plus ancien mais en même temps ce sont des loyers beaucoup plus bas car ce sont des logements anciens qui sont déjà amortis. »
Vous rejetez donc l’urgence des arguments financiers ?
« La présidente en parle depuis mai et le vote intervient le 7 octobre. Moins de 6 mois sur un dossier aussi important, bien sûr que c’est trop rapide pour prendre une décision quasiment unique en France de privatisation déguisée d’un office (ndlr : ce sera la 2e privatisation d’un office HLM après celle réalisée dans le Jura). Car qu’on le veuille ou non, même si c’est une coopérative, GDH est un service privé du logement social, ce n’est plus un service public. »
L’AMF (Association des maires de France) soulignait récemment la dégradation de la situation financière du logement sous la double pression des obligations de rénovations thermiques massives et de constructions nouvelles, qui impacte fortement la dette des bailleurs sociaux. Est-ce que ce rapprochement n’est pas un moindre mal car si ce n’est pas GDH, dont le siège est à Avignon et l’implantation fortement marquée en Vaucluse, cela risque d’être d’autres acteurs nationaux beaucoup plus éloignés du territoire. N’y a-t-il pas un risque à perdre la main ?
« L’argent plus cher concerne tout le monde, mais surtout celui qui est le plus endetté. Et à ce jour Vallis habitat est nettement moins endetté que GDH. Mais effectivement ces incertitudes posent la question de savoir ce que vont devenir Vallis habitat et GDH. Vallis habitat a l’avantage d’être un service public dès lors que l’autorité politique veut le conserver, alors que GDH, qui est dans le secteur l’habitat privé, est très probablement dans la ligne de mire du 1% Logement (ndlr : Action logement). Tant que Michel Gontard sera là cela va aller, mais après que va-t-il se passer ? (ndlr : le président de GDH devrait être en poste pendant 4 ans encore). »
« Et même si madame Santoni dit qu’après la fusion le département aura une minorité de blocage avec 36% des voix au sein du conseil d’administration, croit-on vraiment que cela pèsera bien lourd face au 1% Logement qui arrivera avec des milliards sur la table. Le Département sera alors incapable de suivre financièrement. Pour moi, il y a plus de risques pour la coopérative que pour le service public de perdre la main. Tant que la collectivité dit ‘je garde mon office’, ‘je le fais fonctionner’, ‘je mets l’argent qu’il faut éventuellement pour le recapitaliser’. Aujourd’hui personne ne peut acheter Vallis, et cela quelles que soient les sommes proposées si la volonté politique est de dire ‘on ne vend pas’. »
Il y a quand même un paradoxe à ce que ce soit l’outil public indépendant qui ne tienne pas son rôle d’aménageur en termes de volume de production alors que la coopérative connaît un fort développement et apparaît comme le bon élève du logement social dans le département ? Pour s’en convaincre il suffisait de voir la réaction des maires lors de la dernière assemblée générale de l’Association des maires de Vaucluse qui fustigeaient l’absence de résultats de Vallis et soulignaient la facilité de travailler avec GDH. Lors de l’annonce de la fusion on pouvait également remarquer la présence des maires vauclusiens directement concernés par les projets Anru qui sont vitaux pour le logement social en Vaucluse.
« Le chantier Anru qui débute à Orange dans la cité de l’Aygues à Orange prouve bien que Vallis est capable de mener des projets de ce type-là. Il y a aussi des opérations sur la rocade à Avignon. On en revient toujours à la même problématique. Si on a une bonne équipe, le programme on le démarre et on le mène à bien ensuite. Il n’est jamais trop tard pour bien faire et si l’on n’a pas été bon avant il faut le reconnaître. »
« Par ailleurs, il faut se rendre compte que les maires ne siégeront plus de droit dans le conseil d’administration de GDH, comme c’est le cas à Vallis. Alors bien sûr il peut y avoir des conseillers départementaux également maire, mais les maires en tant que tels, en tant qu’institution communale, il n’y en aura plus alors que leur place est primordiale dans ces structures où se décident les programmes de construction. Alors oui, certains maires disent ‘c’est une bonne opération’ mais d’autres disent qu’ils ne sauront plus ce qui se passe chez eux. Mais aujourd’hui il y a une direction politique au Département, avec une présidente qui me fait peur quand elle dit je suis une femme de droite assumée. Donc cela veut dire qu’elle applique la politique à laquelle elle croit et puis c’est tout. Avec les convictions que j’ai, si j’étais président, je ferais autre chose. »
La solution idéale serait donc de rester sur un statu quo ?
« Il faut procéder à une vraie professionnalisation de l’équipe d’encadrement comme déjà évoqué. Il faut aussi relancer le processus de construction en recapitalisant si nécessaire pour se donner les moyens. Il faut également fixer des objectifs clairs avec une présidence à la hauteur avec quelqu’un qui tienne la route. Pourquoi pas la présidente Santoni : elle a la volonté et la détermination. Moi je dis à la présidente : ‘il faut y aller’ C’est une femme de conviction, de caractère, qui est à la tête d’une structure qui en vaut la peine et sa responsabilité n’est pas d’abandonner le service public. Au contraire c’est de le faire vivre. Sinon on peut privatiser le RSA, l’entretien des routes ou les collèges. Si c’est ça faire de la politique, il faut faire autre chose, il faut être chef d’entreprise. Etre président du département c’est avant tout, comme toutes les collectivités, assumer des responsabilités et parfois même des ‘emmerdements’. Sinon on fait autre chose car il ne faut pas abandonner le service public du logement. »
Propos recueillis par Laurent Garcia