Julien Gélas, le directeur du Théâtre du Chêne noir propose ‘Le jeu du président’. Entre Machiavel et la Boétie, une pièce inspirée par le mandat du président de la République, Emmanuel Macron. Six acteurs au jeu affûté déroulent au jour le jour la féroce subtilité de l’exercice du pouvoir. Tout le talent ici est de faire de la philosophie politique un moment de gourmandise étonnant et réjouissant. On a adoré.
Un président (Alain Leempoel), sympathique qui se nourrit de pouvoir autant que de son image. Un conseiller, Vicien (Didier Brice), enveloppant de bienveillance, flatteur à souhait qui enjoint le président à s’amuser en toute circonstance. Un secrétaire d’Etat (David Talbot) amoureux de Rimbaud et titillé par Verlaine, un directeur de cabinet qui se serait bien rêvé en chef cuisinier (Emmanuel Lemire) et un chargé de communication (François Brett) invité à… surtout ne rien faire.
L’élément perturbateur
Voilà, le décor est planté qui ne serait pas complet sans l’arrivée de l’élément perturbateur, Eléonore, la fille de Vicien, qui vient d’entrer à HEC (Haute école commerciale) en réalité ‘Miss Balaise’ influenceuse de gauche et dissidente notoire du pouvoir au million de followers. Le début de l’intrigue ? Le président lui propose de faire un stage à l’Elysée. Dès lors la mécanique du pouvoir s’infiltre dans le giron familial faisant exploser toutes les certitudes.
Jeu de pouvoir et Je du président
Dans ‘Le Jeu du Président’, Julien Gélas, propose d’infiltrer la mécanique du pouvoir. En un mot, le président est Machiavel et le jeu du pouvoir une partie d’échecs. La plus puissante de ses armes ? La rhétorique ou le pouvoir de convaincre et tout devient possible lorsque l’on distingue faits politiques et valeurs morales. Dans ses rets ? Un père, Vicien, conseiller à l’Elysée et sa fille Eléonore, l’homme d’expérience et la candeur de la jeunesse, au cœur d’un palais –royal ?- où se jouent les ambitions concurrentes.
Douce tyrannie
Le décor (Thierry Flamand) infuse une ambiance posée et sereine mais les apartés, les réflexions, les coulisses des discours officiels donnent à voir et à comprendre un monde autrement plus complexe. En pleine période des gilets jaunes le Président improvise : «Je passe à l’antenne dans une heure. La situation devenait explosive. Votre attentisme, Vicien, était devenu ma passivité.» «Vous avez fait des annonces ?» interroge Vicien. «Plus que çà, j’ai pris des engagements, ça nous coûtera quelques milliards mais la paix civile est à ce prix. Je suis un homme de l’urgence, à la guerre les héros naissent lors d’un coup d’éclat. On ne réfléchit pas lorsqu’il faut sauver la France ! On a beau être un Béotien en politique, ça n’empêche pas d’avoir de l’intuition !»
Incisive écriture
L’écriture de Julien Gélas est fine et rôdée comme une chanson. Elle puise les faits dans le quinquennat d’Emmanuel Macron, emprunte à Louis XVI et à François Hollande avec ses fameux ‘sans dents’ avec autant de gourmandise que de saine stupéfaction. «Le pouvoir en France depuis 5 ans est éminemment théâtral, analyse l’auteur et directeur de théâtre. Il me semblait nécessaire de se frotter à ce pouvoir éternel dans les intrigues, répété depuis les premiers empereurs antiques, et tout à la fois si particulier à notre époque technologique et spectaculaire.»
Références
Estienne de La Boétie, le nom est lâché, un jeune homme d’à peine 18 ans lorsqu’il écrit le ‘Discours de la servitude volontaire ou le contr’un’… où l’art de dominer les ignorants. Nous voici nous délectant de philosophie politique sous la plume Julien Gélas sans doute très inspiré du grand auteur mort avant ses 33 ans. On se remémore cette phrase de lui : « Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d’autres biens ni d’autres droits que ceux qu’ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l’état de leur naissance ». Oui, sans doute, à condition, de maintenir le pouvoir d’achat, ce qui est d’ailleurs le souci du président depuis le 17 novembre 2018, date des premières manifestations et blocages des ronds-points partout en France. «Je me désole de la façon dont les artistes ont déserté le terrain de la politique, soupire Julien Gélas, il me semblait nécessaire d’aller me frotter à ce pouvoir.»
Une grande claque !
Alors, dans la chapelle désacralisée du XIIIe siècle du 8 bis, rue Sainte Catherine à Avignon, on se prend une grande claque. Le décor, la mise en scène (de Gérard Gélas avec l’assistance de Mouloud Belaïdi) qui tient plus à une chorégraphie bien huilée, l’écriture, le jeu des acteurs, les lumières (création Florian Derval), la musique avec, notamment, les Cavaliers de l’apocalypse, tout y est fluide. Ah, j’oubliais, au creux de l’intrigue s’est glissée une scène d’anthologie, plus affolante que Sharon Stone dans Basic instinct. La salle, pensant vivre une hallucination collective, est restée scotchée ! Parce que cette pièce est une réussite tant sur le fond que la forme, courrez la voir.
Les infos pratiques
Le jeu du président. Création du Théâtre du Chêne noir. Jusqu’au 12 décembre puis du 16 au 19 décembre. De 21 à 30€. Location 04 90 86 74 87. 8 bis, rue Sainte-Catherine à Avignon. www.chenenoir.fr