Sébastien Giorgis est intervenu sur le thème ‘La nature en ville’, dans le cadre de la journée d’étude du ministère de la Culture, à Paris. Il y confie son regard d’architecte paysagiste et urbaniste au fil des expérimentations vécues dans le monde et à Avignon.
Aujourd’hui, la question du paysage urbain est devenue essentielle. Le débat est très ouvert sur l’aménagement des espaces publics : pouvons- nous nous permettre de sortir des formes culturelles patrimoniales ancrées dans l’histoire et trouver de nouvelles expressions formelles répondant aux enjeux contemporains ? Ce débat, dans toutes les villes qui bougent, est quotidien. Réunir le patrimoine historique et naturel est aussi une tendance très récente. C’est ainsi que l’Icomos (le Conseil international des monuments et des sites) travaille avec l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) à la demande de l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) : nature et culture ne sont plus deux mondes séparés. »
■ Rappel à l’ordre
« Nous sommes rappelés à l’ordre par ce qui arrive à l’échelle plané- taire. Le ‘Bois vertical’ à Milan, le Bosco à Turin sont des réalisations emblématiques qui posent la question du point de vue culturel. J’ai participé à la fondation du collectif ‘Paysages de l’après pétrole’ pour répondre aux enjeux actuels du réchauffement climatique et de l’érosion de la biodiversité d’une manière culturelle par le paysage. Une de nos réflexions au sein de ce collectif est de dire que chaque culture, chaque ville ou région du monde doit apporter sa propre réponse car si nous répondons tous de la même façon à l’îlot de chaleur urbain par exemple, nous nous retrouverons tous avec le ratio de Göteborg à 100 m2 d’espace vert par habitant lorsqu’à Ouarzazate il n’y en a pas ou qu’à Naples celui- ci est de trois ! Or, on vit très bien à Naples alors qu’il y fait chaud depuis longtemps ! Soyons donc prudents vis-à-vis de ces transformations à mettre en œuvre en gardant en tête que le résultat de la somme de réponses sectorielles issues de logiciels techniques -très bien faits- fera qu’on obtiendra la même réponse à Tokyo qu’à Paris. Alors comment partir du culturel et nous aider de ces logiciels pour changer le paysage urbain et la ville, certes, mais en restant nous-mêmes ».
■ Densification de la ville
« Cette époque pose également la question de la densification de la ville : comment ne plus s’étaler ? Cette image de la Zac (zone d’aménagement concerté) rive gauche à Paris pose cette question de la densité qui nous amène à vivre ce genre de paysage urbain où, entre les deux salons, depuis leur banquette, les deux voisins peuvent se regarder vivre… L’écologie dans la ville dense devient compliquée. C’est pour- tant ce que l’on est en train de faire dans Paris et cette tendance se révèle mondiale. Lorsque j’ai fait mes études d’architecture, «l’écologie urbaine» était une discipline socio- logique issue de l’école de Chicago dans les années 1930 où l’on étudiait comment les différentes catégories et populations d’une ville, riches, pauvres, blancs, noirs, femmes, hommes, interagissaient entre elles, où elles habitaient, comment elles se déplaçaient, les relations qu’elles tissaient entre elles. »
■ Ecologie urbaine
« Ce terme est revenu récemment pour évoquer désormais les questions écologiques contemporaines. Si, face à la ville compacte, se développe la présence du végétal, il convient d’avoir à l’esprit que la notion de confort ne repose pas uniquement sur la température de l’air mais aussi, comme nous l’enseignent les villes méditerranéennes, sur la circulation de l’air, la température des parois, la gestion quotidienne des ouvertures ou l’inertie thermique des bâtiments par la mobilisation de matériaux adaptés, etc. Une autre des grandes transformations urbaines que nous sommes en train de vivre réside dans le bouleversement des mobilités face aux congestions urbaines et aux pollutions apportées par les déplacements généralisés en voitures individuelles. Ces images de la ‘Piazza Maggiore’ à Bologne montrent la succession depuis le temps où la voiture n’existait pas, puis celui où il n’y a plus qu’elle et cette nouvelle époque où, finalement, ‘on l’extrait’ du lieu. Cette tendance mondiale n’est pas simple, particulièrement pour une population très attachée à la voiture. »
■ Quand le vélo transforme le paysage urbain
« Ce transfert vers d’autres modes de déplacement conduit à concevoir un nouveau paysage urbain. À Avignon, il y a 3 ans encore, le tour des remparts était entière- ment bitumé et couvert de voitures. Aujourd’hui, c’est une voie verte cyclable et piétonne. Ce transfert modal vers le vélo et la marche est un vecteur important de transformation du paysage urbain en facilitant l’accessibilité, en réduisant les pollutions et en améliorant notre santé à tous. »
■ Les villes méditerranéennes
« Même les villes méditerranéennes qui, par essence, sont très minérales, se végétalisent comme à Rome où les pieds de façades sont investis par des plantes qui absorbent les polluants, comme le lierre et la vigne vierge. Il y a un rapport très intéressant sur le choix des essences d’arbres et végétaux selon le type de polluant en présence avec, par exemple, le Magnolia de Kobé qui absorbe le NO2 (dioxyde d’azote produit par les gaz d’échappement des voitures), cela va également dans le sens de la diversification des essences. »
■ Pour un sol poreux laissant passer l’eau
« Autre point important ? La perméabilité du sol car nos villes sont extrêmement imperméables ce qui pose problème non seulement en termes d’inondations mais aussi, de développement du végétal car, quand il n’y a plus de sol urbain vivant et humide, les arbres ou les plantations au pied des façades souffrent et leur effet sur l’environnement urbain devient dérisoire. Il est important sur ce point de faire bouger les lignes en développant la pose de revêtements de sol sur du sable en lieu et place du bitume. C’est le cas à Rome, à Lisbonne ou à Rotterdam où des milliers d’hectares sont constitués de sols capables d’absorber la pluie. Cette question de perméabilisation des sols urbains, y compris de la ville classique, est une des voies d’avancée très importante. De nouvelles techniques se développent dans ce sens notamment grâce à des structures de chaussées drainantes qui comprennent 30% de vide pour stocker l’eau et permettre sa migration vers la nappe phréatique, tech- nique validée par le laboratoire des Ponts et Chaussées. »
■ L’eau, la nuit et l’albédo
« Et qu’en est-il de toute cette eau que l’on renvoie à travers nos toilettes et nos lavabos ? En plein cœur de Berlin, on découvre cet îlot de verdure luxuriant : c’est en fait une station d’épuration. Mais pour qu’elle puisse exister, cela suppose que chacun d’entre nous arrête d’employer de l’eau de javel qui nuirait au système d’épuration biologique… L’excès de lumière urbaine est aussi l’une des plus grandes causes d’érosion de la faune nocturne, notamment des insectes, oiseaux et chauve-souris. Disposer de lampadaires qui n’éclairent que vers le sol, privilégier les lumières chaudes, baisser le niveau d’éclairage à partir d’heures avancées de la nuit sont des réponses efficaces à cette question. D’autres pistes de développement de cette nouvelle écologie urbaine s’offrent à nous, telles les réflexions sur l’effet albédo des matériaux (pouvoir réfléchissant d’une surface claire). Egalement, il est possible de travailler à certains endroits avec des sols plus clairs pour avoir davantage de renvoi de lumière et donc réduire la température des surfaces. »
■ Le bois, piège du CO2
« C’est aussi le développement de l’usage du bois dans l’architecture et les mobiliers urbains (filières locales), matériau qui assure le stockage du CO2 connu pour être des ‘puits de carbone’ et qui représentent désormais de nouveaux éléments de nos paysages urbains. Tous ces exemples qui illustrent le développement de nouvelles réponses aux questions planétaires du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité nécessitent de croiser les enseignements complémentaires de la technique, de la culture et des patrimoines dont chacun est le porteur d’un savoir singulier ancré dans l’histoire et la géographie de chaque lieu, ville, village et paysage. »
■ Question de point de vue
« Car, en effet, il y a mille façons de vivre avec le réchauffement climatique si l’on croise les cultures. Faut-il planter des arbres en ville à Ouarzazate ? Les Français sont culturellement méditerranéens et latins. Nous sommes en cela différents des scandinaves, des anglo- saxons ou des asiatiques et chacun doit apporter ses réponses culturellement adaptées. Pour les Méditerranéens, créer et cultiver un champ ou un jardin c’est faire reculer le sable ou la garrigue en tirant des fils d’eau. C’est ce qui est à la base de notre art des jardins très géométriques, ce jardin italien, ou jardin ‘à la française’ et à la géométrie de notre terroir agricole ordonné par l’orthogonalité des vestiges du cadastre romain. Pour les Anglo- Saxons, au contraire, il s’agissait de se battre contre la forêt pour créer des habitats et des terres dans les clairières. Le ‘jardin à l’anglaise’ aux formes dites ‘naturelles’ exprime bien cette différence fondamentale. Aussi, nous n’avons pas le même rapport au vivant et cela induit des formes urbaines différentes.
Si Avignon, côté rue, apparaît comme une ville méditerranéenne minérale, il suffit de passer derrière les façades des bâtiments pour découvrir les cours plantées et les jardins parfois luxuriants. La nuit, cette différence entre les rues et les places d’un côté et les cœurs d’îlot de l’autre provoque une circulation d’air qui rafraîchit les appartements que leurs concepteurs ont veillé à rendre ‘traversants’. Chez nous, l’été, on ouvre les fenêtres la nuit et on les ferme le jour. Nous nous souvenons qu’en 2003, lors de la grande canicule, alors qu’à Avignon il a fait largement aussi chaud qu’ailleurs, la mortalité y a été bien moindre car nous savons gérer la chaleur. C’est notre culture. »
Mireille Hurlin
Sébastien Giorgis
Sébastien Giorgis est architecte DPLG (Diplômé par le gouvernement)-paysagiste FFP (Fédération française du paysage), urbaniste SFU (Société française des urbanistes), paysagiste-conseil de l’Etat, membre du Comité scientifique international de l’Icomos) – Cultural Landscapes, administrateur d’Envirobat – Bâtiment durable méditerranéen ; agréé pour les Approches environnementales de l’urbanisme (AEU) par l’Adème (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), fondateur du Réseau méditerranéen de la ville et du paysage Volubilis. www.volubilis.org
La place de l’arbre en ville
« Idéalement placés, les arbres peuvent localement réduire de 2 à 8°C la température de l’air en ville et générer des économies de climatisation de 30% », souligne Stéphane Allaire fondateur de l’entreprise ‘Reforest’Action’. « Tandis que plus de 75% des Français sont citadins, il y a lieu de renforcer la place de l’arbre urbain pour adapter les villes au réchauffement climatique. Parmi leurs nombreux bénéfices : dépollution, santé, bien-être…, les arbres de nos villes sont de vrais climatiseurs naturels. Idéalement enracinés dans les artères des aires urbaines, ils peuvent localement réduire la température de l’air de 2 à 8°C, selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Ainsi la ville espagnole de Barcelone a doublé, cette année, le nombre d’arbres de ses rues. Reforest’Action finance des projets de boisement urbains ou encore de reconstituer de forêts primitives. Baptisée ‘forêt Miyawaki’ du nom de son botaniste inventeur, cette méthode s’inspire de la composition et des mécanismes des forêts primaires pour recréer, en ville, un écosystème forestier très dense, riche en biodiversité et au fort potentiel de stockage de CO2.
L’artificialisation des sols
L’artificialisation des terres progresse plus vite que la croissance démographique et économique. À ce rythme d’ici la fin du siècle, 18% du territoire français sera artificialisé, prévient l’Iddri (Institut pour le développement durable et les relations internationales). Une situation qui pose question quant à la souveraineté alimentaire de la France et à sa capacité à résister au changement climatique. En 2015, l’artificialisation des sols représentait 9,4% du territoire métropolitain contre 8,3% en 2006. « La France a perdu un quart de sa surface agricole sur les 50 dernières années », a également rappelé Emmanuel Macron, président de la République française, lors de sa visite au dernier salon de l’agriculture. Aujourd’hui, c’est l’équivalent de la superficie d’un département moyen qui est bétonné tous les 7 à 10 ans. Pour sa part, la biodiversité connaît une érosion massive et rapide. Plus d’un million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction selon le dernier rapport de l’IPBES (Fondation pour la recherche sur la biodiversité). Parmi les principales causes figure l’artificialisation des terres provoquée par l’étalement urbain et les constructions diffuses qui détruisent les habitats naturels et les continuités écologiques. En cause ? Le goût des Français pour l’habitat individuel, en périphérie des grands centres urbains, et la sous exploitation du bâti existant. D’ici 2030, 280 000 hectares d’espaces naturels, agricoles et forestiers seront artificialisés. La solution ? Réhabiliter les bâtis existants abandonnés, densifier les zones existantes d’habitat et limiter l’étalement urbain grâce au durcissement des règles d’urbanisme.
Paysages de l’après pétrole
Le collectif Paysages de l’après- pétrole composé d’experts, chercheurs et professionnels, a pour objectif de donner à la question du paysage un rôle central dans les politiques de transitions énergétiques et écologiques des territoires et des villes. www.paysages-apres-petrole.org
1 million d’arbres plantés
Avec 51% de forêts sur son territoire, la région Sud est la 2e région la plus boisée de France et abrite une des plus grandes biodiversités au niveau mondial. C’est aussi un territoire sous tension, avec des pressions d’urbanisation fortes et des villes insuffisamment végétalisées, vulnérables aux changements climatiques. C’est la raison pour laquelle le plan climat ‘une Cop d’avance’, propose la protection des massifs forestiers et lance l’opération ‘1 million d’arbres plantés, dans la région Sud, d’ici 2021’ afin de végétaliser les villes et de renforcer la régénération des espaces forestiers.
Grimpantes et isolation thermique
La vigne vierge apposée sur une façade légère permet de baisser la température intérieure des pièces de 4 à 6° au plus fort de l’été, en plus d’une légère augmentation de l’humidité. Un mur végétal participe à la réduction des poussières atmosphérique, en les piégeant à la surface des feuilles et en concentrant certains polluants dans leurs tissus. Les plantes grimpantes permettent de réduire les amplitudes thermiques journalières de 50%, et ce grâce à l’ombre qu’elles fournissent au bâti- ment. Empêchant la chaleur d’entrer dans le bâtiment par protection des murs contre le soleil, ces plantes sont bien plus efficaces que n’importe quel procédé mécanique incorporé à la construction. Par ricochet, la consommation énergétique baisse : -50 à -70% sur la facture de climatisation, pour une baisse de la température extérieure du bâtiment de 5,5°C. L’emploi des plantes grimpantes fournit un meilleur résultat si celles-ci sont installées sur le mur qui fait face au soleil, ainsi que le mur ouest qui est exposé au soleil l’après-midi. De plus, ces plantes apportent un ombrage efficace aux portes et fenêtres. Dans les zones à hiver froid, il faut opter pour des plantes grimpantes caduques, pour que le mur profite du soleil en hiver. Cependant, les feuilles le long du mur opposé au soleil permettent de réduire les pertes caloriques, davantage par effet coupe-vent que grâce au coussin d’air tempéré qui est créé entre la végétation et le mur. Des recherches allemandes démontrent que le lierre grimpant d’une épaisseur de 20 à 40 cm est le meilleur isolant thermique (Dunnett et Kings- bury, 2005). Les murs végétaux abritent une grande diversité d’in- vertébrés qui attirent nombre de prédateurs, comme les passereaux d’été (fauvettes, rouge- queues, merles…) ou les chauves-souris. De plus, la masse végétale peut fournir un lieu de nidification propice aux oiseaux (grives, fauvettes…) et aux petits animaux insectivores.
Pose de capteurs de température
Les Villes d’Apt et Pertuis ont fait poser des capteurs de température. Cela permettra d’enregistrer, durant les périodes estivales, la température, toutes les heures, dans les rues du centre-ville, sur les grands boulevards, dans les parkings ombragés, bitumés sans arbre, au bord des cours d’eau, dans les jardins publics, lotissements, habitats pavillonnaires, zones commerciales, industrielles, forêts, vignes… Les relevés sont ensuite analysés. Les études sont menées en partenariat avec le GREC-Sud (Groupe régional d’experts sur le climat en région Provence-Alpes-Côte d’Azur). Les solutions envisagées ? L’augmentation des espaces verts et des arbres en ville, l’isolation des bâtiments, l’utilisation de revêtements plus perméables au sol avec un albédo plus élevé, la valorisation de la présence de l’eau.