A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes qui s’est déroulée samedi dernier, plusieurs avocats du barreau d’Avignon ont proposé un éclairage sur ce thème. Dans ce cadre Maître Karine Sanchez évoque la mise à l’épreuve du droit des femmes aux Etats-Unis.
« Si le cours de l’histoire avait du sens, les droits des femmes ne seraient plus un sujet, mais une évidence incontestée partout dans le monde. Mais voilà, l’histoire n’a pas vraiment de sens et tourne en rond sur elle-même, pour toujours se redire, se refaire et s’accomplir inlassablement, sans que la raison ne puisse rien y comprendre. Si depuis 50 ans, les femmes françaises ont gagné au prix d’âpres luttes, certes perfectibles, le droit à disposer de leur corps, il n’en est pas de même au sein de la plus grande des démocraties, dont quelques signes annonciateurs sonnent comme une prophétie de Cassandre. A rebours de l’évolution favorable à la protection des droits des femmes en France, dont la loi VEIL de 1975 dépénalisant l’avortement est le point de départ, le sort réservé au droit des femmes par les Etats-Unis d’Amérique témoigne d’une dérive idéologique fatale à la cause des femmes. »
Les droits des femmes américaines semblent garantis
« Signée en 1979 et ratifiée par 189 états, dont la France, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes n’a jamais reçu l’adhésion des Etats-Unis. Pas si grave ! L’Amérique est l’Amérique, démocratie flamboyante, mère d’une constitution qui compte parmi les plus âgées des états de droit… Pas si grave encore ! Les droits des femmes américaines semblent garantis. N’est-ce pas aux Etats-Unis que deux ans avant la Loi VEIL, l’arrêt de la Cour suprême des Etats-Unis Roe vs Wade ancrait le droit à l’avortement au niveau fédéral, et autorisait les femmes américaines à disposer de leur corps dans le respect de leur droit à la vie privée. »
Le nouveau monde a vieilli… et a failli
Mais les conservatismes ont la vie dure, le nouveau monde a vieilli. Six des neuf juges inamovibles composant la Cour suprême sont des hommes, nommés par des présidents conservateurs, dont Donald Trump en 2017, 2018 et 2020. C’est sous leur égide que le scenario redouté de toutes les femmes libres s’est accompli : le 24 juin 2022, la Cour suprême a enterré la protection fédérale du droit à avorter dans sa décision Dobbs vs Jackson women’s health organization, et laissé à chaque état le choix de sa législation sur le droit des femmes à disposer de leur corps. La raison ? : le droit à l’avortement n’est pas profondément enraciné dans l’histoire ou la tradition des Etats-Unis d’Amérique. Ce rétropédalage trouvera sa pleine expression le 24 janvier 2024 avec l’adhésion de l’Amérique à une déclaration internationale obscurantiste s’opposant au droit à l’avortement, initiée lors du premier mandat de Donald Trump mais rejetée ensuite par l’ancien président démocrate Joe Biden. »

Remise en cause grandissante du droit des femmes à disposer de leur corps
« Cette ‘Déclaration de consensus de Genève’ de 2020 sur « la promotion de la santé de la femme et le renforcement de la famille », initiée par le très chrétien évangélique secrétaire d’Etat de Donald Trump Mike Pompeo, matérialise la remise en cause grandissante du droit des femmes à disposer de leur corps, et l’atteinte à leur la liberté sexuelle. Elle est signée par 35 nations conservatrices, du royaume de Bahreïn au Niger, de la Hongrie à l’Arabie saoudite, en passant par les Etats-Unis d’Amérique. »
« Alors que la France célèbre le cinquantième anniversaire de la Loi VEIL, la régression idéologique qui frappe l’Amérique en matière de droit des femmes à disposer de leur corps devrait finir de convaincre du caractère fondamental de la constitutionnalisation du droit à l’avortement. En modifiant l’article 34 de la constitution française, la loi constitutionnelle du 8 mars 2024 charge le législateur de « déterminer les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ». Devenue le premier pays au monde à inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans sa constitution, la France succède, 50 après, à l’ex-Yougoslavie de Tito, dont la constitution de 1974 prévoyait un « droit humain de décider librement de la naissance de ses enfants ». Aucun autre État n’a pour le moment inscrit un droit à l’IVG dans sa Constitution. Quant aux jurisprudences protégeant l’IVG au niveau constitutionnel, elles restent fragiles et très peu nombreuses : Slovaquie (2007), Croatie (2017) et Colombie (2022).
Le nouveau monde a encore des choses à apprendre de l’ancien monde
« Au-delà du débat juridique, le droit des femmes à disposer de leur corps est l’épiphénomène d’un combat sociétal et culturel pour la liberté de la femme. « L’histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays. Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir. » Simone Veil aura définitivement exprimé mieux que personne qu’en matière de sens de l’Histoire, le vieux continent aurait à enseigner au Nouveau Monde. »
Maître Karine Sanchez, avocate au Barreau d’Avignon